Qui était Jacques Androuet Du Cerceau. Un architecte ? Mais il ne reste pas de trace d'édifices qu'il ait vraiment conçus. Un dessinateur ? Sans nul doute, talentueux et doué d'une imagination hors pair. Un graveur aussi, parmi les meilleurs et les plus illustres de France. Mais aussi un fantôme : c'est hélas la farce que lui a jouée la postérité en faisant s'évanouir à peu près tous les éléments susceptibles de nous le faire connaître, en dehors de son coup de crayon.
Une exposition à la Cité de l'architecture et du patrimoine fait revivre d'étonnante façon Jacques Androuet Du Cerceau (vers 1520- vers 1586), bien connu des architectes et des passionnés de patrimoine, pour ses dessins et ses recueils. Lui-même n'a pratiquement rien construit, se cantonnant au rôle, au demeurant prestigieux, d'auteur de traités d'architecture, lignée ouverte au Ier siècle av. J.-C. par le Romain Vitruve.
Androuet théorise, imagine, ou restitue les chefs-d'oeuvre de son époque, préservant de l'oubli des dizaines de châteaux aujourd'hui disparus, ou l'état d'origine de quelques autres qui ont été peu ou prou transformés depuis les derniers souverains Valois. Des édifices qu'il détaille, au point de laisser imaginer leur possible reconstruction. Il a lui-même réuni cette part de son travail, capitale pour les historiens, sous le titre Les Plus Excellents Bâtiments de France, une France au demeurant réduite à l'Ile-de-France et à la vallée de la Loire.
On y trouve les plus célèbres monuments : le Louvre, tel que l'a conçu son contemporain Pierre Lescot (autour de 1550) avec les sculptures de Jean Goujon, Vincennes avec son enceinte et ses tours, Chambord dont on attribue l'esprit à Léonard de Vinci, et qui est l'un des seuls châteaux royaux à n'avoir pas été altéré. Blois, Amboise et Chenonceaux, Saint-Germain-en-Laye, Ecouen et Fontainebleau. Mais aussi d'autres, dont l'état ou le souvenir laissent perplexes : Vallery (Yonne), l'un des plus modifiés par l'histoire ; Verneuil-en-Halatte (Oise), aujourd'hui en ruine ; Villers-Cotterêts (Aisne), dans un état lamentable. Et surtout le fameux château dit "de Madrid", où François Ier reçut Charles Quint, effacé du bois de Boulogne en 1792, comme le seront tôt ou tard ceux de Creil (Oise), de Coucy (Aisne), de Folembray (Aisne), de Montargis (Loiret... Les jardins ne sont pas oubliés, restitués avec une précision délicieuse.
Androuet a gardé le secret de ses sources, autant que de l'organisation de son atelier, auquel toute une équipe doit avoir contribué. Coincé entre Paris et Montargis par les guerres de religion, il n'a vu la plupart des édifices que de seconde main, ce qui n'en rend son travail que plus remarquable.
Proche de Sebastiano Serlio (architecte et théoricien italien, mort à Fontainebleau en 1554), il a de la même façon rassemblé des éléments réels et parfois imaginaires qui lui permettent de drainer la Renaissance italienne vers la France. Il fait en revanche appel à sa seule inventivité lorsqu'il propose des modèles de "logis", extensibles à l'infini, selon le goût et la richesse des commanditaires, jusqu'à occuper l'espace de formidables palais qui ont pour principal point commun une symétrie obsessionnelle et, pour ainsi dire, préclassique. Ainsi, dessine-t-il encore l'immense registre de ses ornements architecturaux, qui lui vaudra l'essentiel de sa célébrité.
Cet aspect décoratif est resté le mieux connu. C'est avec à propos que les responsables de l'exposition ont davantage mis l'accent sur la dimension structurelle de l'architecture et sur le dessin qu'il sait en tirer, donnant au passage de très beaux cours de perspective.
Pendant longtemps, les expositions d'architecture ont tenu à distance le public, en alignant de façon laconique dessins et gravures, accompagnés parfois d'un buste et d'un petit film sentant bon la télé d'antan. Ici, Androuet revit certes à travers son oeuvre : gravures, dessins, carnets (que l'on peut feuilleter grâce à leur numérisation) et précieux vélin (peau de veau mort-né), dont quelques pièces majeures prêtées par l'Angleterre. Mais l'ensemble est complété par une batterie de films en 3D. Ils parachèvent la résurrection du fantôme au côté de moulages et de maquettes, dont l'une, monumentale, restitue les Tuileries de la Renaissance, incendiées pendant la Commune (1871), puis achevées à la pioche en 1883.
Pour autant, la scénographie de la Cité ne lésine pas sur les bustes. François Ier, Henri II, Charles IX, Henri III, souverains dont notre homme eut à connaître de près ou de loin la gloire, et avec eux les temps tourmentés des luttes entre catholiques et protestants, desquels sa famille était proche. Manquent Catherine de Médicis... et Jacques Androuet Du Cerceau, dont seule une rare médaille, et une peinture posthume laissent l'improbable physionomie. Quant à son nom, dont le premier élément rappelle un célèbre fromager parisien, il tire son allure aristocratique d'un cerceau, enseigne de son père, marchand de vin à Paris.
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