
Après des années de doutes et de tâtonnements, Ron Yosef, âgé de 35 ans, a fait une sortie spectaculaire en avril, en participant à un magazine d’investigation télévisé très populaire. Il était déjà connu, sous son seul prénom, comme le fondateur de HOD (acronyme pour les mots hébreux "homosexuels" et "religieux"), la première association, créée début 2008, revendiquant une coexistence possible entre identités homosexuelle et juive orthodoxe. Son cheval de bataille : la reconnaissance de l’homosexualité masculine, largement occultée au sein du monde orthodoxe, et l’ouverture de discussions rabbiniques sur le sujet afin d’aider les homosexuels religieux à concilier leur double identité.

L’homosexualité est un des plus grands tabous du judaïsme. Contrairement à de nombreux interdits, qui sont issus des exégèses de l’Ancien Testament, la Torah mentionne explicitement l’acte sexuel entre hommes comme une "abomination" (Lévitique, 18, 22), donnant une force particulière à l’interdiction. Malgré l’ambiguïté des relations, souvent interprétées comme homosexuelles, entre les personnages bibliques de David et Jonathan, le monde orthodoxe juif rejette en bloc ses homosexuels, assimilés, dans le meilleur des cas, à des "malades" qu’il faut "débarrasser de leur mauvais penchant". Du coup, la grande majorité d’entre eux se marient pour ne pas être mis au ban de leur communauté.

Le coming out de Ron Yossef lui a valu, de fait, des menaces de mort et des dessins de pendus accrochés à sa porte. Certains rabbins ont fait pression, en vain, sur sa famille et ses amis pour qu’il quitte la synagogue de Netanya, près de Tel-Aviv, où il officie depuis douze ans. Toujours est-il que la revendication de Ron Yossef et la popularité de son association HOD ont bouleversé les codes du monde orthodoxe. Jusque-là, la seule association s’adressant aux homosexuels religieux leur proposait une "aide" sous forme d’ateliers destinés à "soigner les penchants homosexuels" des participants et à les ramener dans la norme hétérosexuelle.

"Le judaïsme traite des moindres détails de la vie quotidienne, jusqu’à te dire quel type de savon il est permis d’utiliser. Mais il se tait sur l’homosexualité, un problème tellement crucial pour les dizaines de milliers d’individus concernés. Ce n’est pas une position tenable. Les rabbins ne peuvent pas se contenter de dire aux homosexuels que les relations entre personnes du même sexe sont interdites. Ils ne peuvent pas nous condamner à l’abstinence, alors que le vœu de chasteté est étranger à la religion juive. Comme sur tous les autres sujets, ils doivent décider ce qui est permis et ce qui ne l’est pas. Sinon, qui sommes-nous ? Des créatures sans désir ? Des espèces de Martiens, et non des êtres humains ?" s’indigne-t-il.

"La plupart des hommes mariés qui s’adressent à HOD ont la trentaine, déjà trois ou quatre enfants, et n’ont jamais pu parler à quelqu’un de leur homosexualité, explique Ron Yossef. Le simple fait de voir qu’ils ne sont pas seuls leur enlève un poids énorme. On ne leur dit pas de divorcer, ce serait contraire à la halacha, et s’ils prennent cette décision, ils doivent la prendre seuls. Mais le fait de pouvoir, pendant deux ou trois heures, parler de leurs difficultés leur rend la vie un peu plus supportable."
Le fondateur de HOD a rédigé une lettre ouverte en dix points, envoyée aux rabbins et leaders du monde orthodoxe. Tout en affirmant son attachement aux préceptes du judaïsme orthodoxe, il souligne que les religieux ne devraient pas être obligés de se marier s’ils se disent homosexuels, et qu’ils devraient pouvoir continuer à participer à la vie de leur communauté. Ses efforts commencent à payer : plusieurs dizaines de rabbins orthodoxes ont soutenu publiquement son manifeste. Parmi eux, Youval Sherlo, une des personnalités du judaïsme orthodoxe, directeur d’un centre d’études talmudiques dans la banlieue de Tel-Aviv.

Sur ses difficultés et son parcours, Ron Yossef est peu prolixe. Assis sous la lumière blafarde du néon de sa cuisine impeccablement rangée, où des bénédictions juives côtoient un petit drapeau arc-en-ciel, il dit sobrement qu’il "ne veut pas que d’autres vivent ce qu’il a vécu". Il évoque les premières années qui ont suivi la prise de conscience de son homosexualité : "Il n’y avait rien : pas d’aide, pas Internet, personne vers qui se tourner. Je vivais des vies parallèles. Je faisais comme si j’étais straight, que je voulais me marier, que je m’intéressais aux filles. Et je me rendais à des réunions clandestines d’homosexuels religieux à Tel-Aviv. J’avais toujours cette peur de ne pas suffisamment cloisonner les deux mondes, que mon rabbin me jette, ou que le directeur de la yeshiva -centre d’études religieuses- me renvoie. A un certain moment, il m’est devenu insupportable de vivre dans le mensonge, d’évoluer dans ce monde de la religion, des prières et de la synagogue, tout en sachant que si la vérité sortait, je ne pourrai pas être là."

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