Le ménage de Séverine et de Pierre a toutes les apparences du bonheur : ils sont mariés depuis un an, et vivent sans soucis financiers dans un intérieur d'un luxe raffiné.
Pierre et Séverine s'y déclarent leur amour grandissant même si tout n'est pas parfait. Pierre regrette en effet la froideur de sa femme que celle-ci reconnaît tout en ironisant sur l'inutile tendresse de son mari.
La pure beauté de la jeune femme cache un enfer de désirs insatisfaits qui se traduisent toutes les nuits par un même cauchemar à la fois atroce et délicieux :
Un landau tiré par deux chevaux sort d'un château et emprunte une allée bordée d'arbres.
Celui-ci arrête les chevaux, exige que sa femme sorte du landau et l'en expulse grâce aux deux cochers. Ceux-ci la bâillonnent et l'entraînent au fond des bois où, sous les ordres du mari, ils la fouettent. Pierre offre alors sa femme à l'un des cochers qui vient se presser contre elle et l'embrasser.
La patience et la délicatesse de Pierre ne parviennent pas à la délivrer de ses obsessions. La curiosité et un besoin instinctif d'avilissement la conduisent, non sans hésitations, chez l'accueillante Madame Anaïs dont l'adresse lui a été perfidement indiquée par un ami de leur ménage, Husson. Sous le nom de "Belle de Jour", elle découvre auprès de clients variés, la vulgarité bestiale, le fétichisme et tout un éventail de perversions humiliantes qui éveillent ses sens. C'est enfin la révélation dans les bras d'un voyou, Marcel.
Séverine n'est pas débarrassée des fantasmes oniriques où elle est toujours la victime couverte de boue, mais elle croît avoir trouvé une sorte d'apaisement apparent. Celui-ci est bientôt rompu par sa confrontation avec Husson, venu un jour en client chez Mme Anaïs. Consciente de sa déchéance dont elle l'accuse d'avoir été l'artisan, et masochiste jusqu'au bout, elle s'offre à lui mais il la repousse,. Cependant, Marcel a l'âme d'un caïd : il réclame l'exclusivité de sa "Belle de Jour".
Anaïs consent à laisser Séverine s'enfuir. Le truand amoureux a tôt fait de la relancer chez elle. Lorsqu'il comprend que c'est la présence du mari qui les sépare, il tire sur Pierre qui rentre chez lui. Il est lui-même peu après abattu par la police. Pierre n'est pas mort mais paralysé, aveugle et muet. Husson, le diabolique Husson, pour achever son oeuvre de destruction, lui révèle la double vie de celle qui le soigne. Le rêve est alors le seul refuge de Séverine.
"Belle de Jour" est l'un des chefs-d'oeuvres de Luis Bunuel. Catherine Deneuve, alors âgée de 23 ans, y incarne le rôle d'une jeune bourgeoise, au masochisme et à la sexualité frustrés, à la recherche de l'accomplissement de ses fantasmes et qui va s'engager dans la prostitution – de luxe, bien entendu !
Cette prestation va l'ériger en sex-symbol. C'est un film vraiment à découvrir, tant pour Deneuve que pour le sujet qu'il traite.
Le personnage de "Belle de Jour" prend en effet toute sa densité avec ses fantasmes récurrents, ou Séverine subit humilitations voir dégradations. Le film commence d'ailleurs, en forêt avec "Belle de Jour", Pierre et les cochers qui les accompagnent, sur un fantasme SM aux allures de Libertine précurseuse, qui même aujourd'hui paraîtrait franchement osé au cinéma.
Quelques flashbacks, très courts, nous indiquent les origines de ses traumatismes. L'un nous indique brièvement qu'elle a subit des atouchements dans son enfance, un autre nous la présente en train de refuser la communion à l'église, la petite Séverine ayant donc choisie son camp, puisqu'ici il en est un, et qu'elle se complaît plutôt dans le Mal et les plaisirs qu'il occasionne ; nous sommes tout de même en 1966, on ne va donc pas faire comme si masochisme et dégénérescence n'étaient pas deux termes indissociables ; pour autant, aucun jugement de valeur dans Belle de Jour, qui s'applique à être une peinture des fantasmes les plus variés, et joue avec les conceptions, donc notamment celles justement du Bien et du Mal.
Si elle éprouve quelques difficultés à s'adapter à ce nouveau milieu, Séverine y trouve bientôt une grande satisfaction, et réussi son émancipation. Jusqu'au mystérieux écorché vif qui s'éprend d'elle, et l'amène à, peut-être, mettre un terme à l'aventure...
"Une actrice ne s'appartient plus. Elle appartient à ceux qui la contemplent" a dit Ava Gardner ; rarement cette phrase trouvera exemple aussi juste. Catherine Deneuve, qui incarne ici le personnage de Séverine alias "Belle de Jour", est une de ces femmes à la fois rebelles et sexy -mais femme fatale, pas objet !-, dont la recherche de plaisir se trouve en adéquation avec les fantasmes masculins.
L'actrice se mue alors en icône glam, et son statut d'ambassadrice du Cinéma et de l'Elegance Française doit beaucoup à "Belle de Jour". C'est d'ailleurs ici que débute sa collaboration avec Yves Saint Laurent, lequel signe les costumes du film.
On imagine aisément le choc qu'a été "Belle de Jour", véritable mini-héritier du Marquis de Sade, à sa sortie en 1966. Il fut cependant un gros succès critique et public (avec notamment 2.8 millions d'entrées cinéma en France).
Un film très chic, sulfureux, au sujet atemporel, plutôt fascinant, entre rêve et réalité, autour duquel flotte toujours une odeur un peu surréaliste de provocation innocente et surtout de mythe. Essentiel, et peut-être aussi fondateur.
"Belle de Jour est emblématique de ma carrière. Il y a là, dans cette passivité devant le vice, quelque chose qui a marqué les esprits.
Avec Buñuel, ce fut difficile, très difficile. Sur "Belle de jour", on se parlait pratiquement pas. En outre, Buñuel avait des difficultés à entendre, donc il ne recherchait pas spécialement le dialogue quotidien. C'était un film de producteurs, les frères Hakim. Ils étaient au centre de l'organisation, moi d'un côté, et Buñuel de l'autre, avec eux qui faisaient les intermédiaires Je me sentais un peu bafouée. On m'avait peut-être pas engagée pour de bonnes raisons... Je ne suis pas sure que Buñuel ait fait le film qu'il voulait. II pensait à quelque chose de plus audacieux, et que ma réserve, ma froideur... II aurait voulu faire un film un peu plus cru." Catherine Deneuve.
Séverine se rend donc dans ce lieu qui l'attire et la terrorise, et officie l'après-midi, entre 14 et 17 heures, d'ou le pseudonyme de « Belle de Jour » que lui trouve Madame Anais (Geneviève Page). Elle fera face à des clients aux désirs très divers, du beauf accroc au missionnaire au vieux perché qui la veut en morte, en passant bien sûr par le brave professeur qui vient se faire battre et humilier. Attention, l'un de ces exemples relève de l'imagination du personnage culte interprétée par Deneuve !
Si en 1966, les spectateurs ont pu être déconcertés par le mélange de réalité et de fantasme, le film est aujourd'hui assez facile à lire pour un spectateur attentif. Les scènes d'ouverture et de clôture du film avec le landau relèvent du fantasme. C'est également le cas de la séquence entre Husson et le mari évoquant les rendez-vous de deux à cinq heures devant des taureaux dont les noms sont "Remords" et "Expiation" puis couvrant de boue une Séverine, attachée et habillée de blanc. Autre courte scène fantasmée, le duel entre Husson et Pierre où la balle atteint Séverine à la tempe alors que se déploie plus longuement la cérémonie funèbre du duc désirant sa fille en secret et qui finit, selon les dire de Bunuel, par se masturber sous le cercueil de Séverine.
Chacune de ces séquences est introduite ou clôturée par Séverine en position allongée et par le son off des grelots des chevaux. C'est l'entremêlement d'une réalité vécue douloureusement, de flash mentaux, de fantasmes réellement mis en scène dans la maison close et de ceux fantasmés par Séverine qui donnent au film sa tonalité d'inquiétante étrangeté que viennent renforcer les prémonitions de Pierre (le fauteuil roulant) et les curieux objets de l'Asiatique (grelot et boite à musique). Cet enchevêtrement de réalité et de rêve est sans doute l'essence la vie pour Bunuel. L'image finale du landau vide rentrant au château indique aussi bien que la main crispée de Pierre la fin tragique du couple.
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