
Du mardi 15 au mardi 22 septembre, se tient à l’Assemblée nationale, l’examen par les députés du projet de loi pénitentiaire, après son adoption en mars dernier par les sénateurs. Si les commissions d’enquête parlementaire, en 2000, avaient décidé de mettre "La France face à ses prisons" et qualifié cette dernière d’"humiliation pour la République", force est de constater que le texte soumis aujourd’hui aux députés après son adoption par les sénateurs est loin d’engager la réforme du droit de la prison et des droits des prisonniers réclamée depuis une dizaine d’années par l’ensemble des acteurs du monde carcéral. Quant à la procédure d’urgence décidée par le Gouvernement, elle réduit d’autant la marge d’intervention du législateur pour résorber la crise profonde de l’institution pénitentiaire en y affirmant la prééminence du droit et le respect absolu des droits de l’homme.

Que de chemin parcouru ! Ces glissements sémantiques successifs pourraient n’être finalement qu’anecdotiques. Ils ne le sont pas. Ils témoignent de l’ampleur du "détournement d’objet social" dont la réforme de la prison qui découlait logiquement de la prise de conscience politique de 2000 a été victime.
Prise de conscience de la réalité carcérale qui, associée à celle aiguë du lien étroit entre politiques pénale et pénitentiaire, a abouti à toutes sortes de dénonciations, venant de tous les bancs de l’assemblée et du sénat.

- 1 / "Il y a trop de gens qui n’ont rien à faire en prison ! " …
La population écrouée a augmenté de pratiquement 50 % entre 2001 et aujourd'hui. Elle devrait atteindre 80 000 personnes d’ici 5 ans. Ce qui signifierait un taux de détention ayant cru de 60 % en un peu plus de dix ans (75 pour 100 000 habitants à 120 pour 100 000 habitants). Actuellement le seul nombre des condamnés détenus dépasse celui de la population écrouée dans son ensemble de 2001…
- 2 / "Les maisons d’arrêt sont surpeuplées car utilisées sans vergogne comme variable d’ajustement du système pénitentiaire ! " ...
Au 1er juillet de cette année, sept détenus sur dix de notre pays s’entassaient dans les dites maisons d’arrêt, soit 44 000 des 63 000 personnes incarcérées : on y trouvait les 16 000 prévenus bien sûr mais aussi 28 500 condamnés. Et qu’importe si aux yeux du CPT, la vie quotidienne dans un établissement surpeuplé - bien au-delà de la promiscuité d’une cellule partagée à plusieurs - constitue un traitement inhumain et dégradant.
- 3 / "Des droits de l’homme bafoués du fait de la surpopulation mais aussi et surtout du fait d’une conception exagérément sécuritaire. Des prisons hors la loi qui sont le règne de l’arbitraire carcéral ! " ...
Guy Canivet le soulignait avec vigueur : " La norme et son application doivent être constantes et égales pour tous, sans varier selon les détenus, les surveillants ou les établissements". Loin de consacrer cette exigence, le projet de loi institue au travers des régimes différenciés, un régime de détention mouvant, pouvant évoluer au gré des besoins et exigences de l'administration pénitentiaire. Une sombre perspective pour la CNCDH qui estime que cela va "décupler les pouvoirs que détient l'administration sur l'individu incarcéré et accroitre très nettement les risques d'arbitraires". Les détenus pourront voir du jour au lendemain leurs conditions d'existence bouleversées par un placement en régime plus strict en fonction des appréciations portées sur leur compte par les personnels pénitentiaires.


À partir du moment où lui était laissé le soin de rédiger la loi - autrement dit qu’il lui était demandé d’écrire sa propre réforme - il n’est guère étonnant que celle-ci saisisse l’occasion qui lui était offerte de s’affranchir des préconisations -innombrables et rigoureusement convergentes - des diverses instances ou organismes qui ont eu à se pencher sur le chevet des prisons françaises et dont elle s’emploie à contester de façon systématique la nature et la portée des constats.

Dès lors, l’horizon réformateur de la loi pénitentiaire s’est retrouvé tenu à distance par l’administration pénitentiaire de l’indispensable refonte du droit de la prison et du statut du détenu qui constituait pourtant le "grand rendez-vous de la France avec ses prisons". Revue et corrigée dans son objet social, la loi pénitentiaire est devenue la loi de l’administration pénitentiaire.
D’où le constat affligeant d’un texte qui se contente - dans la majorité des dispositions qu’il contient - de donner une assise législative aux règlementations déjà en vigueur. Mais aussi d’un texte qui ne tire aucune conséquence des condamnations, pourtant nombreuses, de la Cour européenne des droits de l’homme. Et, plus grave encore, qui va jusqu’à organiser de véritables régressions au regard du droit positif.
En définitive, la seule véritable protection juridique qu’organise la loi pénitentiaire est donc moins celle des personnes détenues demandée instamment par Guy Canivet, que celle de l’administration pénitentiaire elle-même. Jean-Paul Garraud ne s’en cache d’ailleurs pas en écrivant que la loi pénitentiaire peut s’analyser "du point de vue des personnels pénitentiaires comme un renforcement du cadre juridique de leur action, élevé au niveau législatif".



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