C'est un film que je viens de découvrir sur Canal +, un de ces films pour lesquels on se dit "tiens, il a l'air pas mal, il faut que j'aille le voir" et ... qui ne passe plus lorsqu'on a enfin le temps d'aller le voir !
Romancier à succès ("Les Ames grises", "La Petite Fille de Monsieur Linh", "Le Rapport de Brodeck"), Philippe Claudel (Agrégé de lettres, docteur en littérature) a préféré, pour signer son premier film, écrire un scénario original plutôt qu'adapter l'un de ses textes.
On comprend mieux L'omniprésence des livres, l'importance qu'ils ont pour les personnages et les débats qu'ils suscitent dans le film ! Mais "Il y a longtemps que je t'aime" est moins littéraire que délibérément romanesque, sentimental, voué à attiser une compassion pour une douleur secrète.
Ce film extrémement fort aborde des sujets graves, avec beaucoup de finesse : la prison, la famille, la rédemption, l'euthanasie, la mort, la méfiance et l'hypocrisie, la culpabilité, etc ...
Ce qui m'a profondement touché dans ce film c'est la manière dont Ph. Claudel traite le vie d'une personne sortant de prison, son dégout pour cette société qui au fond la rejet profondément d'ou son incapacité à réintégrer cette vie pour les personnes qui n'en sont jamais sortis
Le thème dominant de cette chronique familiale reste l'enfermement. Celui d'un vieux père qu'une attaque cérébrale a rendu mutique, celui d'une mère atteinte d'Alzheimer, celui (poignant) d'un flic divorcé et cerné par la solitude et surtout celui de l'héroïne, qui, après quinze ans en prison, continue à vivre en recluse, résistant à la chaleur que les autres pourraient lui apporter. Celle-ci, Juliette (Kristin Scott Thomas) s'absente de toute forme d'existence sociale, "creusée par le vide et la perte", écrit Philippe Claudel dans le journal de tournage qu'il publie avec son scénario (Petite fabrique des rêves et des réalités, éd. Stock).
Accueillie et recueillie par une soeur qui lui est devenue étrangère, Juliette a été condamnée pour avoir ... (c'est à vous de voir le film !) et cette première révélation nourrit longtemps ce récit intriguant.
Le film captive tant qu'il tourne autour du mystère de cette femme, de sa résistance à revenir au monde, de l'énigme que recèle pour tout un chacun l'existence des autres et leur véritable histoire, leurs raisons de se dérober, tant que perdure l'incertitude sur l'acte criminel de Juliette et ses motivations, tant que Philippe Claudel laisse planer un doute sur le passé de ce fantôme et suggère son droit à "re-vivre", raconte ses difficultés à se réinsérer dans la société, insinue son éternelle culpabilité de cette femme.
Si ce film est "monstrueusement fort" c'est aussi et évidemment, grâce à l'interprêtation de Kristin Scott Thomas. Sa performance est d'autant plus remarquable qu'elle passe par un dépouillement total et une prise de risque dont peu de comédiennes de son âge sont capables. C'est en effet sans le moindre maquillage (interieur et exterieur, je sais c'est beau !) qu'elle campe cette femme qui garde un douloureux secret enfoui au plus profond d'elle-même et a renoncé à séduire. Nul besoin pour la comédienne de morceaux d'anthologie ou de tirades taillées dans le verbe : c'est de l'intérieur qu'elle joue ce personnage. Peu à peu, son personnage va renaître à la vie et, malgré sa méfiance, elle va s'ouvrir aux autres ... elle va ré-inventer sa vie.
Face à elle, il y a Elsa Zylberstein (qu'a priori, je n'aime pas en tant qu'actrice). Elle se trouve réduite à un statut de faire-valoir. Elle va toutefois bien au-delà de son contrat et insuffle à son personnage une précieuse vitalité qui contraste avec le jeu en retrait de sa partenaire.
Ph. Claudel traite chacun de ses protagonistes avec le même respect et fait appel pour les seconds rôles à des interprètes d'une justesse confondante, qu'il s'agisse de Serge Hazanavicius en mari dur et impitoyable, Laurent Grévill (qui jeune était hyper mignon, ... quoiqu'on dise sans cheveux, il l'est beaucoup moins !) en universitaire de province ou de Frédéric Pierrot en flic dépressif.
On ne sait pas quoi dire, quoi ressentir, après la vision de ce film.
En effet, ce film assez intimiste, peut être dramatique quoique plein d'espèrance est très prenant. La dissection des sentiments d'amour entre ces deux soeurs s'opère de façon assez inouïe, et le spectateur se laisse totalement emporter par ce flux de regards, de sourires crispés. Le cadre est très pesant, l'image très sombre est très travaillée, et finalement l'effet d'emprisonnement est très présent. Le scénario est extrèmement bon, précis, vrai, les dialogues finement ciselés sans qu'ils paraissent irréalistes et les scènes simples où tout est maîtrisé, on reconnait de très loin la patte de Philippe Claudel écrivain !
En fait, si le film est si beau et s'il nous emporte autant, c'est parce que les ficelles du scénario sont très vraisemblables et les personnages très attachants. Elsa Zylberstein est parfaite en trentenaire brisée à l'adolescence par un "secret" dont elle ne connaissait pas les tournants, et son visage radieux est bien marqué par une douleur, un respect profond pour sa soeur. Le mieux étant qu'elle arrive à ne jamais avoir pitié ou honte (même si elle l'a caché) de sa soeur. Une femme forte qui sied parfaitement au caractère de cette actrice. Puis Kristin Scott Thomas, visage sombre au teint blafard, exceptionnelle en femme fatiguée, qui se sent coupable. Les scènes entre ces deux actrices sont toujours très fortes de douleur et d'émotion. Puis on ne peut pas oublier la musique de Jean-Louis Aubert, qui accompagne le film et qui lui donne le plus.
En fait un film inoubliable, qui raconte le retour de Juliette. D'ailleurs, elle le dit elle-même au dénouement bouleversant : "Je suis là". Générique, sur la superbe reprise de "Dis, quand reviendras-tu?" de Barbara par J.L. Aubert. La question ne se pose pas.
Je suis à présent impatient de découvrir son prochain film...
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