samedi 17 octobre 2009

"L’affaire Mitterrand" par D. Jamet


"Qui aurait pu croire, qui aurait prévu, il y a seulement quinze jours, que « l’affaire Frédéric Mitterrand » éclipserait, en tout cas à la une de nos médias, voire dans l’esprit des Français, l’affaire Roman Polanski ?
Certes, notre tout beau tout nouveau ministre de la Culture n’en attendait pas tant, lorsque, sous le coup de l’arrestation du cinéaste franco-polonais, en toute spontanéité et en toute candeur, il prit feu et flamme pour celui qu’il décrivait alors sous les traits de la victime expiatoire d’une justice barbare.
Il est vrai qu’au même moment, quelques dizaines de « créateurs », dont plusieurs mondialement connus, adoptaient la même position. Certains d’entre eux semblent d’ailleurs, à la réflexion et peut-être à la lumière des réactions de l’opinion, avoir pris quelque recul par rapport à un premier réflexe qui devait autant au corporatisme le plus classique qu’à une générosité peut-être mal entendue.
Quoi qu’il en soit, c’est sur le seul Frédéric Mitterrand que s’est abattu l’orage. L’auteur de « La Mauvaise vie », s’il n’est pas parvenu à mettre celui de Chinatown à l’abri des poursuites de la justice américaine, a très bien réussi à attirer la foudre sur lui-même. C’est aussi qu’il était le seul défenseur de Polanski à occuper un poste de responsabilité politique et à se comporter, occupant ce poste, comme s’il était resté un simple particulier.
Ceux qui s’indignent aujourd’hui qu’à cette occasion on ait déballé et étalé sur la place publique les choix privés et les préférences sexuelles d’un homme, et que l’on soit allé jusqu’à stigmatiser ce qui apparaît encore à beaucoup comme des écarts, voire des déviances inadmissibles, n’oublient que quelques détails : tout d’abord que c’est l’intéressé lui-même qui, le premier, dans un récit alors présenté comme on ne peut plus autobiographique, avait souhaité révéler ses orientations et ses pratiques en matière de sexualité et de tourisme sexuel.
Nul ne s’était du reste formalisé à l’époque de la franchise, voire de la crudité desdites révélations et l’on avait au contraire porté au crédit de l’auteur, en même temps que son talent, sa sincérité, voire son courage.
Les journaux, les radios, la télévision avaient fait le plus large et le plus sympathique écho à des confessions vendues à plus de deux cent cinquante mille exemplaires et pleinement assumées par Frédéric Mitterrand.
Donc, si indiscrétion il y eut et il y a encore, la responsabilité initiale n’en incombe à personne d’autre qu’à celui-ci. Pourquoi ce qui avait fait il y a cinq ans un succès fait-il aujourd’hui un scandale ?
C’est qu’il est apparu que, membre du gouvernement, Frédéric Mitterrand ne reniait rien de l’homme qu’il avait été. En quoi il témoignait d’une candeur attachante, mais mal venue dans la sphère politique.
La vie privée d’un homme public ne lui appartient plus, et d’autant moins qu’il en fait plus état. Plus précisément, si l’on ne tolère pas d’un ministre ce que l’on accepte chez un « saltimbanque « », c’est que le deuxième, qui n’est responsable que de lui-même et devant lui-même, est libre de cultiver à sa manière son jardin personnel et de ne chercher éventuellement que l’approbation des happy few, tandis que le premier est responsable devant toute la nation, qui attend de lui une attitude exemplaire.
Or, là où Frédéric Mitterrand ne voyait que la solidarité du protecteur d’un homme de culture promu au rang de protecteur des arts et des artistes, le plus vaste public a cru voir la complaisance d’un amateur de garçons avec un amateur de (petites) filles, la complicité d’un suborneur et d’un violeur et, pire encore, l’insupportable arrogance du représentant d’un microcosme bien particulier, dont les membres se tiennent les coudes, et prétendent échapper aux rigueurs de la loi, comme si celle-ci ne devait pas être égale pour tous, comme si le fait d’être riche et célèbre, au lieu de conférer des devoirs, entraînait des privilèges, comme si certains justiciables étaient en droit de se dérober à la justice, comme si, en l’espèce, traiter Polanski comme le sont chaque jour, ici ou là, en France ou aux Etats-Unis, des milliers d’anonymes, relevait du lèse-majesté.
C’est une manifestation de plus, dans un monde en crise, du clivage, de plus en plus mal supporté, entre l’élite et le tout-venant, entre la Cour et la Ville, entre les gens et les people. Il est du reste parfaitement clair que, si le président de la République et, à sa demande, ses proches et son gouvernement n’avaient pas apporté un soutien massif et appuyé à Frédéric Mitterrand, celui-ci aurait été balayé par une vague de réprobation unissant de la gauche à l’extrême-droite, la majorité des socialistes, les centristes, l’U.M.P. et le Front national, aux applaudissements de la foule.
L’épisode est venu en tout cas rappeler à tous que nous vivons dans une société où le viol, la pédophilie et tout ce qui y ressemble ou prête au soupçon d’y ressembler tendent à être assimilés à des crimes contre l’humanité, comme ceux-ci impardonnables et imprescriptibles, qu’aux vertus qu’on exige des hommes politiques, même les saints seraient parfois susceptibles d’être disqualifiés, que l’obligation de transparence et d’exemplarité contraindra de plus en plus à l’hypocrisie et à la dissimulation, où la peur de n’être ni politiquement ni moralement correct laminera les caractères, les discours et les actions, où de manière parfaitement contradictoire on revendiquera toujours plus de liberté alors que l’on acceptera de moins en moins la transgression.
Mais ceci va bien au-delà des personnes et des cas de M. Polanski et de M. Mitterrand."

Dominique Jamet

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