dimanche 22 novembre 2009

Joseph Epstein

On l’a oublié, et pourtant il fut de ceux qui comptèrent, dans la Résistance. Joseph Epstein en était l’un des plus brillants cerveaux et meneurs, tacticien accompli de la guerre insurrectionnelle et "subversive".
C’était aussi un homme, plein de vie et d’humour, mais dont le destin fut scellé par les dérives du 20e siècle et pour cause, il avait le malheur d’être juif ...

Né à Zamosc (Pologne) en 1911, ville natale de plusieurs grandes figures juives : Dr Schlomo Ettinger, le journaliste Zederbaum, le grand écrivain yiddish Itshak Peretz et Rosa Luxembourg.
L'environnement et l'atmosphère juive à Zamosc eurent une très grande influence sur Joseph Epstein.
Pendant toute la période qui avait précédé la guerre, la jeunesse ouvrière juive et une grande partie des intellectuels avaient parfaitement ressenti la pesanteur de l'oppression nationale et sociale. L'insécurité, l'absence de perspectives avaient contribué pour beaucoup à ce qu'une grande partie de la jeunesse juive rejoignît l'avant-garde révolutionnaire, alors en lutte contre la politique réactionnaire, bourgeoise et antisémite. Les forces révolutionnaires de la jeunesse juive furent également un grand réservoir pour toutes les immigrations vers les pays d'accueil. La grande majorité de ces jeunes gens partie de Pologne illégalement traversa les frontières.

La tension politique de cette période eut une influence considérable sur les jeunes étudiants, surtout en milieu juif, bien que les Juifs fussent peu nombreux dans les lycées polonais. Début 1926, un contact avait été établi entre organisation communiste et des groupes d'étudiants parmi lesquels se trouvait aussi le jeune Joseph Epstein, alias Jurek…En 1929 il se rendit à Varsovie et s'inscrivit à la Faculté de Droit.
Joseph Epstein fut arrêté en août 1931. après une instruction très pénible, il fut incarcéré. Son père put faire jouer ses relations et réussit, avec l'aide du procureur et en versant une forte caution, à obtenir sa liberté conditionnelle. A peine libéré, Joseph partit clandestinement en Tchécoslovaquie, et s'inscrivit à l'Université de Prague. Mais le gouvernement tchèque lui refusa le droit d'asile politique, et Joseph repartit cette fois pour la France. Devenu étudiant à la Faculté de Droit à Tours, il s'inscrivit au Parti Communiste et assez rapidement fut élu au Comité Fédéral.
Il partit de Tours avec son amie Paula, étudiante la Faculté de Médecine. Originaire de Lodz, elle avait émigrée en France en raison du "numerus clausus" imposé aux filles juives de Pologne dans l'enseignement supérieur, pour pouvoir faire des études de pharmacie. En Pologne elle avait déjà fait partie du mouvement des jeunesses communistes. Ses liens avec Joseph étaient donc à la fois d'ordre sentimental et idéologique. Elle devint la fidèle compagne de sa vie. Pendant un certain temps, il essayèrent de vivre à Paris, mais des difficultés d'argent les amenèrent à repartir pour Bordeaux, lui pour étudier le droit, elle, à la Faculté de Médecine-Pharmacie. Joseph poursuivait ses études et en même temps ses activités. Son talent d'orateur arriva jusqu'au Comité fédéral. En 1934, il fut élu membre du Comité central de la Jeunesse Communiste.

Joseph Epstein termina brillamment ses études, mais étant étranger, il ne put trouver du travail dans sa spécialité. Il eut des emplois irréguliers et une vie précaire. En même temps, il décida de suivre des cours sur l' industrie et l'armement de guerre.
Quand la guerre éclata en Espagne, les quelques dizaines de milliers d'Espagnols qui vivaient à Bordeaux rentrèrent dans leur pays pour se battre contre Franco. Epstein partit en même temps qu'eux. Blessé au cours des combats, Joseph Epstein se mit à la disposition du comité d'Aide à la République espagnol et fut affecté au bureau central. Parmi d'autres tâches, il devait s'occuper d'achat de fusils, bateaux et avions. Il circulait souvent entre Paris et Bordeaux, et collabora avec le Consul d'Espagne, Georges Duval. Son rôle consistait à faciliter le passage de la frontière espagnole aux volontaires qui affluaient de toute l'Europe vers les Brigades Internationales. Georges Duval a raconté que son intelligence et son courage avaient, à plusieurs reprises, sauvé des situations délicates.

La guerre conduite par le général Franco, avec l'aide d'Hitler et de Mussolini, contre l'Espagne démocratique, fut le prélude de l' agression fasciste contre le mouvement ouvrier international.
Joseph Epstein continua à collaborer activement avec le Bureau national d'Aide à la République espagnole. Les activités du comité étaient camouflées sous le couvert officiel de la société "France Navigation" qui possédait de vingt-deux bateaux, avec des équipages comptant mille deux cents marins. Durant la guerre civile en Espagne, ils réussirent à transporter plus de mille tonnes de produits alimentaires, ainsi que des cargaisons clandestines d'armes.
En janvier 1938, Joseph Epstein retourna en Espagne, affecté au Commissariat politique des Brigades Internationales. Son quartier-générale se trouvait à Albacete mais il brûlait de participer aux combats sur le front Il fut affecté au bataillon d'artillerie du nom d'Anna Pauker, avec le grade de capitaine, du fait de ses connaissances technique concernant tous genres d'armement, et de son expérience du combat. Son pseudonyme était "André".
Il reste malheureusement peut de témoins de ses opérations de guerre. Un des épisodes de cette période de lutte de Joseph Epstein n'en est pas moins significatif.
En été 1938, Epstein, a la tête de son unité, se distingua sur le front de l'Ebre. Il avait reçu l'ordre de se retirer avec les batteries sur l'autre rive, car le gros de l'armée n'avait pas réussi à traverser le fleuve, et son unité risquait de se trouver encerclée par l'armée franquiste. Mais Joseph Epstein n'obéit pas à l'ordre reçu. Il fit renforcer le feu et ordonna à ses hommes de ne pas se retirer avant que le corps d'armée n'ait réussi, lui aussi à traverser l'Ebre. Pour non exécution des ordres, il comparut devant un tribunal militaire disciplinaire. Le tribunal estima que l'ordre donné était une erreur, et que la décision que Joseph avait prise était celle qui convenait pour sauver l'armée républicaine. Bien au contraire, il reçut une distinction militaire de l'État-major.

446 ans après la tragique expulsion des juifs d'Espagne, la jeunesse révolutionnaire juive s'était mobilisée pour défendre la liberté en Espagne. Cette unité portait le nom de Naftali Bottine, le petit cordonnier juif de Lwow…
En 1939, dès la déclaration de guerre, Epstein s'engagea dans l'armée française. On l'affecta à l'unité polonaise de France, avec le grade de sous-officier. Jurek (Epstein) ne tarda pas à être révolté par le climat antisémite qui régnait dans l'unité polonaise. Grand et blond, il ne possédait pas, pour les Polonais, les traits physiques caractéristiques d'un juif. Cette apparence trompeuse encourageait les confidences et apartés antisémites. Epstein était sociable, bon vivant, bon joueur d'échecs, et son humour, très apprécié, éclatait quelquefois dans un rire joyeux et sain.
Mais en même temps, il était sérieux. Et il ne manquait pas d'affirmer que dans l'atmosphère qui régnait dans l'unité polonaise, il était difficile de combattre le nazisme.

En peut de temps, Epstein rassembla cent cinquante volontaires juifs pour la Légion étrangère. Les juifs préféraient s'engager dans la Légion étrangère plutôt que d'être incorporé parmi les Polonais. Ce faisant, ils couraient le risque d'être considéré comme déserteurs. Une intervention courageuse légalisa leur situation. Epstein lui-même rejoignit le douzième Régiment de marche étranger, (devenu le 22 ème Régiment de Marche des Volontaires Étrangers) un des premiers envoyés sur le front, sur la Somme, prés de l'Aisne.
En mai 1940, Epstein, fait prisonnier, fut envoyé dans la région de Leipzig. En novembre de la même année, malgré le froid et de très mauvaise condition atmosphérique, il réussit à s'évader et à atteindre la Suisse " neutre". Arrêté par les autorités suisses, il fut renvoyé à la frontière allemande. Sachant le sort qui l'attendait, il tenta et réussi une nouvelle évasion à la nage dans les eaux glaciales de l'hiver. Il réussit de nouveau à revenir en Suisse où, dans les locaux du Consulat français, il trouva refuge, on lui procura des papiers légaux de citoyen français. Ces documents lui permirent de rentrer à Paris le 25 décembre 1940.

Joseph Epstein ne se faisait pas d'illusions. Bien qu'il eut des papiers d'aryen et une physionomie qui correspondait à ses documents, il se mit en quête de moyen d'entreprendre la lutte et la résistance.…
Dans les derniers mois de 1942, le mouvement de résistance connu de grosses difficultés dans son action à Paris. La brigade S.S. chargée des luttes contre la résistance lui a infligé des coups très durs. L'État-major de Paris et de la région avait été arrêté. Charles Tillon qui en ce moment critique, se trouvait à la tête de la Direction Nationale nomma Epstein, Commissaire des opérations militaires pour Paris et sa région.
La tactique habituelle des opérations militaires de la résistance était la suivante : des groupes de trois, composés d'un "exécuteur" couvert par les deux autres qui assuraient la retraite.
Cette tactique n'empêchait pas la Résistance de subir de lourdes pertes. Joseph Epstein (Gilles, pour la Résistance) proposa à la Résistance la stratégie militaire qu'il avait mise au point dans la région parisienne : La création de groupe de dix, quinze et vingt et un combattants. Charles Tillon, dirigeant national de la Résistance communiste soutint sa proposition et la recommanda au pays tout entier. Henri Noguères écrit :
"Gilles possédait de grandes connaissances techniques et générales, non liées aux enseignements superficiels pratiqués dans l' armée, au contraire, il avait ses propres idées sur l'adaptation à la guérilla. La plupart des camarades adoptèrent le système des combat à trois camarades qui se compose d' un tireur ou lanceur de grenades et de deux autres pour le couvrir pendant la retraite. Mais dans Paris, il y avait partout des policiers et des soldats allemands : Joseph Epstein préféra engager de quinze à vingt combattants par opération. Les chefs des unités, et même de la M.O.I. ne partageaient pas tout à fait cette idée, préférant les groupes de trois vu la situation. Gilles dut expliquer son point de vue. Si, à Paris, en plein jour, trois personnes seulement devaient attaquer un détachement militaire, il y aurait toujours un danger d'arrestation, qui peut conduire à un demi-échec, et même à un échec complet. Par contre dans un groupe plus grand et bien préparé, il était possible d'avoir une supériorité, en adoptant une stratégie n'attirant pas l'attention. Les opérations menées en 1943 à Paris étaient placée sous l'autorité du Colonel Gilles ".

Le 16 novembre 1943, Joseph Epstein avait rendez-vous avec Manouchian à Ivry. Il est possible qu'ils aient été suivis, ou que leur lieu de rendez-vous ait été connu. C'est là que tous deux furent arrêtés. Ils étaient armés, mais n'eurent pas le temps de se défendre. Ils étaient complètement encerclés. On revêtit Joseph d'un masque de cuir si serré qu'il fit de son visage une masse sanglante. Il fut torturé pendant trois mois. Mais Epstein s' était tu. Ces bourreaux ne purent pas même obtenir de lui son véritable nom …
Les policiers hitlériens et leurs collaborateurs français triomphèrent après l'arrestation d'Epstein et de Manouchian et de dizaines d'autres combattants, à Paris et dans la banlieue. Aucun d' eux, malgré des tortures longues et atroces appliquées avec un raffinement cruel, ne s'est laissé briser. Les tortionnaires ne purent même pas établir la véritable identité d'Epstein, ni de son origine Ils ne réussirent pas à obtenir des précisions qui auraient permis de monter un procès public à grand spectacle, servant la propagande nazie. Epstein ne figure pas sur la célèbre affiche rouge qui dénonçait la Résistance comme une armée du crime composée d'étrangers et d'apatrides.
Joseph Epstein fut jugé avec dix-huit autres résistants. Tous furent condamnés à être fusillés.
Le 11 avril 1944, Joseph Epstein, alias Colonel Gilles, tomba avec ses camarades sous le feu du peloton d'exécution du Mont Valérien. Sur le point d'être exécuté, il écrivit sa dernière lettre à sa femme et à son petit garçon…
Le Colonel Gilles, ou Joseph Epstein, fut enterré au cimetière parisien d'Ivry, sous le nom de Joseph André qu'il avait adopté en 1936 quand commençait pour lui la guerre contre le fascisme et le nazisme en Espagne. Sa femme a réalisé qu'il était important pour l'histoire, que sur sa tombe soit inscrit son vrai nom de famille, comme preuve indéniable de la participation juive à la résistance en France.
Sur la pierre tombale, on a donc gravé le nom de : "Joseph Epstein"

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