dimanche 22 novembre 2009

Gaston Chaissac

Longtemps tenue pour marginale, l'œuvre de Gaston Chaissac, dont on a dit qu'il était un " bricoleur de génie ", apparaît de plus en plus dans son originalité et son ampleur. Saluée en son temps par Jean Dubuffet, Jean Paulhan, Raymond Queneau et bien d'autres, elle a pu, vers 1946, s'apparenter à ce que Dubuffet a défini comme l'Art Brut. Une exclusion, justifiée par ce dernier, de la fameuse collection, puis un regard maintenant rétrospectif sur cette œuvre d'une richesse foisonnante, étayée par une production littéraire abondante (poèmes et lettres) en ont révélé l'importance et la complexité. Chaissac démontre, dans le contexte de l'art des années 50, comment cette époque, à la suite de la conquête de l'art abstrait, a été soucieuse d'une expression libre et spontanée. Eclectique, inventive, intuitive, l'œuvre de Chaissac ne peut mieux se définir, selon une expression de son auteur, que comme une peinture " rustique moderne ".

Gaston Chaissac est né en 1910 à Avallon, dans une famille modeste, et d'un père cordonnier, qui abandonne très tôt le foyer. Rien ne le prédestinait à devenir artiste, peintre et écrivain. De santé précaire, sans diplôme, il avait décidé de faire le métier de son père, et se passionnait pour le dessin tout en rêvant un jour de devenir écrivain.
Plusieurs années plus tard, il disait de lui : "Sans doute ai-je l'âme très proche des artistes de cirque qui, comme moi, savent à peine écrire et ne sont instruits que par ce qu'ils ont vu".
En 1936, établi à Paris comme cordonnier, il rencontre par hasard le peintre Otto Freundlich et Jeanne Kosnick-Kloss qui l'initient à la peinture, qui l'encourage à dessiner et lui prodigue ses conseils. Il expose à Paris pour la première fois en 1939.

Atteint d'une tuberculose, il erre dans différents sanatorium, tout en affirmant son langage esthétique au travers les gouaches et les dessins qu'il réalise durant cette période : éléments animaux végétaux, humains s'entremêlent dans des formes imbriquées soulignées par un contour noir et dans des couleurs vives et contrastées .
A l'occasion d'un travail qu'il trouve chez un bourrelier à à St Rémy de Provence, il rencontre Albert Gleizes ainsi que André Lhôte, Aimé Maeght, et le sculpteur architecte André Bloc.
A la fin de 1942, Chaissac se marie avec Camille Guibert, et s'installe dans un village en Vendée où sa femme est institutrice. C'est dans un isolement total qu'il dessine surtout, mais qu'il découvre aussi la peinture à l'huile et qu'il peint sur de multiples supports une "peinture rustique moderne" disait-il.

Il noue alors des relations avec Jean Dubuffet très proche de lui dans sa conception de l'"Art Brut", selon une notion pour lui qui consiste à peindre hors de tout référent culturel ou artistique, en rupture totale avec ce qui s'était fait en peinture jusque là. Gaston Chaissac y voit des coïncidences avec sa propre conception d'un art délivré de la tradition, et d'un art rural et rustique opposé à l'art citadin.
En 1943, il s'installe avec sa famille à Boulogne en Vendée. En 1943-1945, il expose au Salon des Indépendants où Raymond Queneau, Jean Paulhan et Jean Dubuffet le remarquent ; c'est le début d'une abondante correspondance avec eux. Dubuffet préface d'ailleurs son exposition parisienne à la galerie L'Arc-en-Ciel en 1947.
Il peint à cette époque le " Samouraï " dont il dit à Dubuffet qu'il est la parfaite concrétisation de sa manière de travailler et de voir l'art.
Sur ces idées, Ils parviennent ensemble à participer à une première exposition d' "Art Brut" chez Drouin en 1949.

De 1942 à 1950 Gaston Chaissac est entré dans une période de recherches intenses. L'enthousiasme qu’il retire du contact et des échanges de correspondance avec Jean Dubuffet et la découverte de l’Art Brut, si proche de ses préoccupations, le poussent à rechercher davantage des formes d’expression en marge de la tradition et de l’art intellectuel. Son travail est à la fois proche de l’écriture automatique par l’assemblage d’éléments totalement divers et en même temps proche du dessin d’enfant par son aspect trés coloré et naïf. Ainsi " Le Samouraï " ou "Deux personnages sur fond gris", de 1947 et de 1949, s’organisent autour de la notion de masque, qui demeure un thème récurrent dans son oeuvre. Les visages, sont des masques colorés qui s’inscrivent dans un fonds vivement coloré. La technique du traitement par aplats des couleurs renforce l’impression d’un jeu de formes et préfigure ce que sera le travail abstrait de l'artiste dans les années qui suivront et jusqu'à son dernier jour.

A partir de la fin des années 50, les points de vue des deux peintres divergent. Dubuffet considère l'Art Brut comme toute forme d'expression de caractère spontané et inventif en marge totale des standars de l'art et ayant pour auteur des personnes hors des milieux artistiques.
Chaissac quant à lui, a noué des contacts avec Raymond Queneau, Jean Paulhan, Jakovsky et le romancier vendéen Michel Ragon, qui est l'un des premiers critiques d'art à prendre son oeuvre au sérieux.
Il réalise des peintures murales éphémères, utilise des assemblages de matériaux divers sur lesquels il peint, réalise des empreintes, des graffitis, des collages à partir de dessins d'enfants.
En 1951, paraît aux éditions Gallimard, Hippobosque au bocage, recueil de lettres et poèmes réunis par Jean Dubuffet. De 1958 à 1960, il collabore régulièrement à la nouvelle NRF.

De temps à autres apparaissent des visages, des masques, parmi des motifs abstraits, mais aussi des séries avec de fleurs, des animaux, des serpents.
Cette démarche différe en ce qu'elle est moins intellectuelle que celle de Dubuffet : des objets de rebuts, des déchets, des pierres sont les supports de la peinture de Chaissac, qui ne reste pas cantonné dans le support de la toile.
Gaston Chaissac parvient à exposer une nouvelle fois en 1961 à la Galerie Iris Clerc, protectrice des "Nouveaux Réalistes", laquelle trouve dans ses assemblages d'objets et dans ses cailloux peints un lien de parenté avec sa perception d'un art nouveau

Dans les années qui suivent, jusqu'à sa mort en 1964 à l'hôpital de La Roche-sur-Yon, Chaissac se consacre à la réalisation de collages de papier de tapisseries découpés en de vastes compositions avec ou sans personnages.
Il faudra attendre près de dix ans pour que le Musée National d'Art Moderne organise en 1973 une première exposition de ses oeuvres et que Chaissac soit reconnu pour un artiste à part entière.

Il a dit :
- "Je continue de méditer sur les moyens d'amplifier mon primitivisme par la vie ultra rurale".
- "Tout homme est un artiste, rendez les secrets productifs !".
- " Quand à la vie moins intellectuelle et plus saine qui est la nôtre, elle favorise l'éclosion de nos créations. N'ayant nul besoin du dessin et de la palette des autres, oubliant l'univers et travaillant sans autre souci que de progresser d'une façon continue jusqu'à notre mort, les nouveautés nous appartiennent ".

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