lundi 30 novembre 2009

DSK, la stratégie du futur candidat

Surtout, ne pas en parler. L’entourage est très sollicité pour ne rien dire.
Ses amis politiques auraient presque préféré que Dominique Strauss-Kahn passe incognito à Paris. Mais ces dernières quarante-huit heures, on l’aura beaucoup vu. Beaucoup entendu. Hier, au Cercle de l’union interalliée, où il dissertait à la prestigieuse initiative de l’hebdomadaire britannique "The Economist" sur "la nouvelle donne entre banques, gouvernements et régulateurs". Qu’on ne s’y trompe pas : ce n’est le candidat PS à la candidature qui fait escale en France. Mais bien le directeur général du FMI qui, jurent ses proches, ne fait là que son job. Rien que son job…
Ces quinze derniers jours, il était à Rome, en Angleterre et en Ecosse, à Singapour et Washington. "Il passe son temps dans l’avion", dit un fidèle. "A voir sa tête, il est crevé", constate un autre. A Paris, il ne fera donc, officiellement, que visiter l’un des 185 pays situés dans le viseur de l’institution financière. "C’est le directeur du FMI qui vient nous faire partager sa vision de la crise, résume le député strauss-kahnien Jean-Jacques Urvoas. Il serait frustrant qu’il s’adresse au monde entier et oublie de parler aux Français …"

DSK revient. Pas pour longtemps. Pour plus tard ? Ses proches se feraient occire plutôt que d’en démordre. La condition sine qua non : réussir au FMI. Ça ouvre tous les possibles. En attendant, DSK se tient à mille lieues de la rue de Solférino. Parce que la posture l’écarte des dissensions du parti et lui forge une image d’homme d’Etat et d’action : "Il a la chance de pouvoir réguler la mondialisation pendant qu’au PS, on disserte dessus", ajoute ce fidèle. Et, aussi parce que son statut le lui interdit. Lors de son premier come-back fin janvier 2008, il avait débarqué à la Mutualité à l’occasion d’un conseil national du PS. Jusqu’à faire la une des quotidiens, et se faire recadrer par le conseil d’administration du FMI avec interdiction de se mêler de politique française. Depuis, plus un traître mot des affaires socialistes. Ses partisans feignent de s’en accommoder : "Je vais l’écouter avec beaucoup d’attention, dit la jeune strauss-kahnienne Sibeth N’Diaye. Mais je n’attends pas une vérité révélée ou cachée sur son éventuel retour. Il est naturel qu’il s’intéresse à la politique française, comme il est naturel qu’il s’applique un devoir de réserve."

Cette débauche de préventions masque pourtant mal la nette envie de DSK qui semble, ces jours-ci, prospérer. Une récente batterie de sondages l’a mesurée : à la Bourse de l’opinion, sa cote grimpe. Au point de l’installer, aux yeux des sympathisants de gauche, en tête des présidentiables PS. Et même en possible vainqueur - de peu - de Nicolas Sarkozy au deuxième tour de 2012. Avec le risque, d’ici là, que la bulle n’éclate. Ses proches ont flairé le danger, qui brandissent "une instrumentalisation élyséenne" destinée à resserrer les rangs de la majorité. A preuve la une de l’hebdomadaire Valeurs Actuelles de la semaine dernière qui le pose "en homme qui inquiète la droite". D’où la crainte d’un démarrage précoce. "Cette grossesse nerveuse vient trop tôt. Ça n’arrange pas nos affaires du tout", convient son lieutenant et fondé de pouvoir au sein de l’appareil socialiste, Jean-Christophe Cambadélis. "Ce n’est pas parce qu’on est loin des yeux qu’on est loin du cœur, confirme Jean-Jacques Urvoas. Il a encore deux ans et demi au FMI. S’il sort du bois aujourd’hui, tout le monde le tire à vue."

Alors, candidat ou pas ? "Même parmi ses très proches, personne n’en sait rien", glisse un conseiller. Le principal intéressé, lui, ne pipe mot. Dans un parti souffrant de crise de foi chronique, le mutisme du potentiel imam caché des socialistes incite aux exégèses. "C’est comme dans toutes les religions révélées, il y a des prophètes autoproclamés et d’autres vraiment touchés par la grâce, dit un adepte. Le mieux serait que Dieu parle. Mais comme il ne dit rien, beaucoup parlent en son nom." Son proche entourage s’en agace : "Il y a trop de ventriloques ! Mais Strauss-Kahn ne donne de signe, ni de consigne à personne." Ce conseiller poursuit : "Evidemment, ça fait plaisir d’être haut dans les sondages. Mais ça le laisse un peu froid. Il en prend acte, point barre." Jean-Christophe Cambadélis, lui, évacue : "Dominique n’est pas candidat et il ne s’y prépare pas. Il n’est pas un obsessionnel de la présidentielle. Il est incroyablement dans le moment, et ne se projette pas du tout dans les trois ans à venir."
Pas de plans sur la comète socialiste donc. Et du coup, pas de quoi rompre avec sa réputation de compétiteur velléitaire. Du moins pour l’instant. Son entourage, toujours en pointe côté storytelling, préfère vendre un DSK qui "a terriblement changé au FMI. On retrouve le Strauss-Kahn de la fin des années 90, après sa nomination au gouvernement Jospin, très inventif, avec beaucoup d’appétence, de densité." Et souligner «son intelligence plus que pétillante" plutôt que sa réputation de coureur. "Des histoires d’alcôves, tout le monde en a dans son cartable", assure un proche. "Les gens s’en foutent, l’opinion n’en a rien à secouer", se rassure un autre.

Réseau dormant. Un marketing sans relâche pour un packaging sans tache. Voilà qui ne suffit pas à combler ses amis socialistes, qui piaffent. "Il n’y a pas vie collective, pas de réunion pour savoir ce que souhaitent les strauss-kahniens", regrette l’élu francilien Jean-Paul Planchou. "Pas la peine. Il faut respecter son rythme et sa décision. Il n’y a pas lieu de se réunir", répond un jeune du sérail. En attendant, pas une lettre, pas un coup de fil… "Strictement rien", se lamente un troisième. Le réseau dormant a pourtant une stratégie. Beaucoup d’échanges par Blackberry. Et même quelques raouts : dernier en date, celui tenu "en toute discrétion" à la région Ile-de-France, au lendemain des élections européennes, avec 200 adeptes. La ligne, fixée par Jean-Christophe Cambadélis : "La priorité de Dominique est de réussir au FMI, et notre priorité est de faire réussir Aubry. Pour le reste, il faut laisser faire la main invisible des sondages …"

Laisser faire, laisser prospérer, donc. Un proche : "Il ne s’agit pas de construire le courant DSK. Mais il n’est pas anormal que Dominique ait des amis partout. Dans tous les courants et au-delà du PS." Ce strauss-kahnien assure d’ailleurs recevoir de plus en plus de signes de ses camarades : "Tu sais, pour moi, c’est Dominique…" Ce qui n’a pas échappé à la concurrence. A commencer par François Hollande, qui plaide pour des primaires dès la fin 2010, histoire de faire obstruction à un retour de DSK. Du côté de Martine Aubry, on veut croire que l’alliance du congrès, réunissant autour d’elle fabiusiens et strauss-kahniens, n’a pas atteint la date de péremption : "Je ne crois pas au fait qu’ils s’opposeront l’un à l’autre, estime François Lamy, conseiller de la première secrétaire. Si Martine est candidate, elle aura une légitimité car elle aura conduit le processus. Si elle n’est pas candidate, la question Strauss-Kahn pourra alors se poser." Quoi qu’il en soit, bien avant la fin officielle de son mandat au FMI, en octobre 2012. Et bien dans le cadre des primaires. "DSK parle de chef d’Etat à chef d’Etat avec Obama et Poutine. On le voit mal revenir pour disputer une primaire contre Manuel Valls", ricane un socialiste. Même s’ils caressent le scénario d’un retour en forme de recours, avec un DSK dans le rôle du sauveur d’un parti toujours en butte à la compétition interne, ses amis assurent qu’il se pliera à la règle du jeu. Avec, néanmoins, une obligation : celle d’un parti en ordre de bataille. Vincent Peillon résume : "Même quand on a autant de talent que DSK, s’il arrive sur une terre brûlée, avec des gens qui s’engueulent à chaque réunion ou qu’on lui impose le Smic à 2 000 euros, ce sera difficile pour lui."

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