lundi 9 novembre 2009

À Berlin, Rostropovitch a joué pour l'histoire

La photo a fait le tour du monde. Pour une fois, elle n'était pas posée, encore moins préparée. Le 9 novembre 1989, Mstislav Rostropovitch, dit Slava, violoncelliste de génie, musicien universel, citoyen du monde, était bien tranquille dans son appartement de l'avenue Georges-Mandel, dans le XVIe arrondissement de Paris. Lorsqu'il entendit à la radio qu'il se passait quelque chose du côté du mur de Berlin, son sang ne fit qu'un tour. Il avait toujours agi ainsi, tant dans sa carrière musicale - il est décédé en 2007 - que dans sa vie personnelle et son parcours politique : en toute spontanéité, impulsif, sans prévoir. Au petit matin du 11, il appelle son vieil ami le capitaine d'industrie Antoine Riboud, président de Danone, qui avait tant soutenu les initiatives du violoncelliste, notamment au Festival d'Évian qu'ils avaient créé : qu'il fasse, lui dit-il, préparer son avion privé. Riboud lui signale qu'il a tout de même besoin de connaître la destination, ne serait-ce que pour demander l'autorisation d'atterrir. Slava lui répond : «Nous partons pour Berlin.» Et voici deux hommes et un violoncelle envolés pour ce qui n'était pas encore redevenu la capitale allemande. Une fois arrivés, ils montent dans un taxi, mais pour aller où ? Le mur de Berlin est très étendu ! Ils optent pour Check Point Charlie, le point de passage symbolique de l'Est à l'Ouest. Rostropovitch et Riboud descendent de voiture, le musicien sort son violoncelle de l'étui et se rend compte qu'il a oublié un détail : il n'a pas de chaise. Riboud ne se laisse pas perturber par si peu : il entre dans une guérite de gardiens et emprunte le siège de l'un d'eux, récalcitrant au début, puis dubitatif, et enfin résigné. Rostro s'assoit devant le Mur et se met à jouer Bach, que cet homme profondément spirituel avait toujours associé à Dieu.

Ce geste fut très mal compris. On parla de coup de pub, d'exploitation de l'actualité à des fins de communication. C'était mal connaître Slava. Selon sa fille Elena, ce jour-là, il ne joua pas pour le monde, mais pour soi : «C'était son testament personnel, c'était comme si c'était sa propre fête : il avait été obligé de vivre constamment tiraillé entre deux patries, l'URSS et le reste du monde, et le Mur symbolisait à lui seul cette séparation entre deux univers. Il n'avait jamais pensé le voir tomber.» Lui-même se plaisait à répéter que c'était comme si le mur de Berlin séparait «les deux parties de son cerveau». Lorsqu'il commença à jouer, il n'y avait presque personne. Puis les voisins et les passants formèrent un attroupement, photographes amateurs et journalistes se joignant à eux, sans toujours savoir qui ils photographiaient.

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