samedi 14 novembre 2009

François Truffaut

Ah Truffaut ... j'ai passé (peut-être construit ...) mon adolescence avec ses films. Tous ces films sont à découvrir ou à re-découvrir, de l'expérimental (Fahrenheit 451, L'enfant sauvage) à l'expérimenté (La nuit américaine, Le dernier Métro).
Sous son allure classique, l’œuvre est toute en violence secrète, d’une immense richesse, d’une rare intensité. Truffaut est un chercheur. Il chasse les poncifs, déjoue les pièges, obsédé par l’idée de se renouveler. L’important, c’est d’être sincère et de "vibrer". Il disait : " Je demande à un film d’exprimer soit la joie de faire du cinéma, soit l’angoisse de faire du cinéma et je me désintéresse de ce qui est entre les deux, c’est-à-dire les films qui ne vibrent pas."

Même quand il adapte un roman policier, il le teinte de mélancolie, l’entraîne vers l’amour fou ("La Sirène du Mississipi", "La mariée était en noir") ou la comédie malicieuse ("Vivement dimanche !").
La limpidité de son style se retrouve intacte dans ses livres ou ses interviews, qui sont un bonheur de lecture. Sa passion pour Alfred Hitchcock a d’ailleurs donné l’un des plus beaux livres d’entretiens jamais écrits sur la mise en scène.
On dit que Citizen Kane, d’Orson Welles, est (avec "La Règle du jeu" de Jean Renoir) le film qui a suscité le plus de vocations de cinéastes. À ces deux chefs-d’œuvre, il faudrait aujourd’hui ajouter l’œuvre entière de François Truffaut, l’une des plus appréciées et des plus analysées à travers le monde .
" Il parle légèrement de choses graves ", disait Jeanne Moreau. Pour Carole Le Berre, " son cinéma ne cesse de jouer du décalage entre une apparence anodine, le masque aimable du divertissement et la boule de sauvagerie qui le traverse et surgit par éclats. "

La cinéaste Noémie Lvovsky exprime la même idée : " Truffaut raconte des choses parfois très joyeuses, mais parfois effrayantes ou profondément troublantes. Mais sans le moindre effet coup de poing sur le spectateur. D’où cette sensation de douceur étrange en regardant ses films " (Cahiers du cinéma, n° 592).

Il est l'un des piliers du renouveau du cinéma français, de la Nouvelle Vague avec Godard, Rohmer, Chabrol et Rivette. Son aura est intacte aujourd'hui en France et à l'étranger, et son influence a profondément marqué l'histoire du cinéma.
Jamais vraiment copié mais souvent cité, admiré, étudié, Truffaut incarne une certaine jeunesse, idéaliste et cinéphile, qui s'est inventé une communauté de désir tout en bousculant les schémas établis et ronronnant du cinéma français de l'après guerre. Il a construit son enfance, son adolescence, avec le cinéma comme compagnon pour éponger sa solitude.

Beaucoup plus qu'une passion, le cinéma était pour Truffaut quelque chose d'existentiel, de sacré, il l'avait pour ainsi dire sauvé, il se demandera souvent s'il est plus fort que la vie. Guidé par André Bazin, il est devenu critique, d'abord aux "Cahiers du cinéma", puis à "Arts".
Avec ses complices, les mêmes Godard, Chabrol, Rohmer ou Rivette, il y invente la politique des auteurs.
Truffaut est un critique enthousiaste, hardant, polémique (le fameux article, "Une certaine tendance du cinéma français", où il fustige la léthargie et la médiocrité des cinéastes stars des années 50).

Son style est précis, concis, limpide, savant, sincère, et ses auteurs sont Renoir et Hitchcock d'abord (le fameux livre d'entretiens Hitchcock / Truffaut, une bible pour nombreux cinéphiles) , mais aussi Guitry, Hawks, Lubitsch, Rossellini, Bergman et plus largement le cinéma américain, qu'il admire aussi pour ses héros qui font rêver et donnent envie d'être adulte.

Comme il n'était pas qu'un idéaliste, deux ans après "Les Mistons" (1957), un court-métrage champêtre et charmant, il passe de la théorie à la pratique avec un film qui fait l'effet d'une bombe, "Les quatre cents coups" (1959).
Le film marquera à jamais l'histoire du cinéma, il deviendra une légende, un symbole, une oeuvre matrice pour certains (partout aux quatre coins du monde il créera des vocations). Il tire son originalité de sa liberté de ton, son souffle, ce mélange entre l'autobiographie, le néoréalisme italien transposé à Paris, et un certain cinéma français des années trente, avec ses personnages pittoresques, ses dialogues colorés, ses digressions dramatiques qu'il emprunte à Renoir.

"Les quatre cents coups" a quelque chose de vivant, une sincérité omniprésente; et surtout il est porté par un jeune acteur inconnu mais sidérant, Jean-Pierre Léaud, dont Truffaut fera son double, son alter ego de cinéma. Les deux hommes noueront une amitié fusionnelle, unique. Ensemble, ils brouillent les frontières entre l'art et la vie, prolongeant l'histoire du jeune personnage des 400 coups, Antoine Doinel, dans le segment du film collectif "L'amour à vingt ans" (1962), puis "Baisers volés" (1968), "Domicile conjugal" (1972) et "L'amour en fuite" (1979). Une fausse autobiographie entre la chronique réaliste et fantasmatique où l'acteur grandit avec le cinéma tandis que l'auteur imagine un monde qui vit avec, ou ne peut pas vivre sans.

Mais si Truffaut apporta un vent de fraîcheur incommensurable avec "Les quatre cents coups" (Grand prix de la mise en scène à Cannes), si son film suivant, "Tirez sur le pianiste" (1960), adapté d'un roman noir de David Goodis, fit preuve d'un ton également novateur, très vite on dira qu'il s'installe dans le moule d'un certain cinéma traditionnel qu'il avait autrefois fustigé.
Pourtant son œuvre est plutôt celle d'un subtil décalage : retrouver la fluidité et la transparence du classicisme à travers des narrations précises, évidentes, tout en la réinventant avec des récits découpés à coups d'ellipses et de répétitions, subtils cheminement et variations parfois obsessionnelles, proches de l'intrigue policière (qu'il admire), avec lesquels il joue pour mieux alterner entre l'intellect et l'émotion.

Truffaut cherchait un équilibre entre une approche réaliste et fantasmatique, c'était un homme de raison et de passion, sans cesse à mi-chemin entre l'ordre et le désordre. Il parlait d'une voix claire sur des sujets qui le touche, parfois avec un certain sens moral, responsable, presque pédagogue -l'enfance dans : "L'Enfant sauvage" (1970) et "L'Argent de poche" (1976)-, parfois en révélant une nature plus trouble, asociale, complexe, angoissée, sombre ("La Chambre verte", 1978 ; "La femme d'à côté", 1981), qui fera dire à Serge Daney qu'il y a un Truffaut-Jekyll et un Truffaut-Hyde, un peu comme son ami américain, Steven Spielberg, pour qui il tournera dans Rencontres du troisième type.

Il était le cinéaste des passions amoureuses et sentimentales, souvent tragiques, parfois distanciées voire froides, avec "La peau douce" (1964), "Jules et Jim" (1962), "Les deux Anglaises et le continent" (1971), "La femme d'à côté" ; et des familles à réinventer pour répondre à celle qu'il n'a pas eu, du cinéma ("La Nuit américaine", 1973) au trio amoureux de "Jules et Jim", des "Deux Anglaises" ou du "Dernier métro" (1980).

Il était un amateur et collectionneur acharné de littérature, dont on retrouve naturellement la trace dans ses films :
les romans d'Henri Pierre Roché dont il se sert pour "Jules et Jim" et "Les deux Anglaises" ; le journal d'Adèle Hugo pour é"L'histoire d'Adèle H" (1975) ;
les romans noir de William Irish dans "La Mariée était en noir" (1968) et "La sirène du Mississipi" (1969) ; ou encore, Ray Bradury dans "Fahrenheit 451" (1966), son seul film tourné à l'étranger (Angleterre) sur un sujet dont il ne pouvait qu'être sensible, la capacité subversive de la littérature qu'un régime totalitaire veut annihiler.

Le succès du "Dernier métro", en salles et aux Césars, l'avait intronisé malgré lui sauveur d'un cinéma français alors en pleine débâcle. Avec son "système", capable de faire tourner les plus grandes stars du moment dans des films de qualité (Depardieu, Deneuve, Fanny Ardant, Trintignant), il était l'auteur-producteur (Les films du Carosse) capable de séduire le public sans être renié par la critique. Sa mort soudaine, si jeune (il est mort des suites d'une tumeur au cerveau), suscita rapidement des conversions truffaldiennes qui ne tardèrent pas à être trahies, reniées, une fois l'émoi et l'hystérie passée, avec lui une certaine idée de la cinéphilie romantique et romanesque venait de mourir.

Truffaut était devenu trop bourgeois, trop tiède, pas assez radical (l'inverse de Godard), parfois même suspect pour certains. Mais cette page ne sera pas retenue par l'histoire, comme ses succès, inégaux. Plus le temps passe et plus ses films acquièrent cette enveloppe, non de respectabilité institutionnelle, mais qu'ont les œuvres capables de se défaire du temps. Des films avec leur logique souterraine, intime, personnelle, et leur beauté et faiblesses. Si Truffaut a de moins en moins d'héritiers (sauf peut-être Desplechin qui aime s'en référer, ou Christophe Honoré, mais avec une nostalgie naïve, déboussolée, vintage), c'est peut-être justement parce que son cinéma fuyait sa propre conceptualisation. Son originalité était discrète, sa révolution presque pudique après un premier coup d'éclat. Il avait élu ses maîtres, mais n'avait pas vocation à les remplacer, plutôt à perpétuer leur art avec la plus grande honnêteté possible.

1957


1959


1960


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