lundi 5 octobre 2009

Les forêts de Tasmanie sous les bombes au Napalm

Une exploitation forestière qui suscite de nombreuses interrogations ... En effet, au large de l’Australie, en Tasmanie, sur un territoire de 68.332 km², occupé par 475.000 habitants, de magnifiques forêts subissent un déboisement ravageur.
La Tasmanie (Australie), longtemps pionnière en matière de protection de la nature et où 40% du territoire bénéficie d’un statut de réserve naturelle, illustre aujourd’hui la nécessité de bien réfléchir ce concept d’aires protégées. La réalité du terrain nous enseigne que bien trop souvent les aires protégées permettent d’exclure tout effort écologique dans des aires connexes. Elle nous enseigne aussi que certaines aires protégées sont bordées de zones dont la dévastation est envisagée. Des pratiques industrielles destructrices observées dans ces zones frontières – notamment des coupes à blanc – menacent l’intégrité écologique des aires protégées. Les aires protégées ne sont de plus pas nécessairement représentatives de l’ensemble des richesses écologiques d’un territoire.

Située à environ 70 km à l’ouest de Hobart, la capitale de Tasmanie, la forêt primaire abrite des eucalyptus géants hauts de près de 90 m, âgés de 200 à 400 ans, avec des troncs qui atteignent jusqu’à cinq mètres de diamètre à leur base seul le séquoia géant de Californie (un conifère) le supplante. Après ces passages dévastateurs, cycloniques dirions-nous, de jeunes plants sont repiqués, essentiellement de jeunes arbres exotiques, importés à cause de leur croissance rapide. Puis, afin de préserver ces jeunes arbres et leurs tendres pousses, des poisons violents (1080 créé par les nazis) sont disséminés sur les terres où la faune locale, friande de cette nourriture, est exterminée. Les animaux empoisonnés meurent dans d’horribles souffrances. Dramatiquement, ces lieux qui furent jadis paradisiaques disparaissent avec toutes les richesses d’une biodiversité animale et végétale originelle, dans l’indifférence la plus complète.

Quand les eucalyptus meurent de mort naturelle, l’étage inférieur de la forêt continue à se développer. Après une centaine d’années, on peut parfois parler d’une forêt tempérée humide où dominent les hêtres de myrthe et où l’on peut retrouver des sassafras (dénomination australienne). Il arrive que des incendies naturels détruisent une portion de ces forêts humides, les clairières se couvrent alors d’herbes et constituent un terreau favorable au développement des eucalyptus et de leur sous- étage arboré.

Quand il s’agit d’eucalyptus, les troncs présentant une valeur commerciale sont tout d’abord isolés. Les résidus parmi lesquels se trouvent encore du bois de valeur commerciale sont ensuite brûlés. L’accent étant placé sur la rentabilité immédiate et non l’exploitation raisonnée des ressources naturelles. Le terme ‘résidus’ est ici utilisé dans une acceptation très large qui couvre également l’étage inférieur de la forêt où l’on trouve quelques essences intéressantes. De nombreux animauxvivent dans les arbres et perdent tout simplement leur habitat de prédilection, notamment des cavités et creux dans les troncs. Cette pratique industrielle atteste d’un gaspillage éhonté des ressources naturelles.

Ce sont des arbres gigantesques qui disparaissent sous les tronçonneuses et les bulldozers, et subissent un nettoyage au "Kärcher" effectué par des bombes au napalm larguées d’hélicoptères, et c’est quotidiennement, une superficie semblable à 44 terrains de football qui s’évapore en fumée.
Des lieux qui ressemblent aux champs de bataille de la Première Guerre mondiale. Il ne reste que des étendues désertiques, avec des cratères, et des cadavres d’animaux empoisonnés, disséminés dans un paysage cauchemardesque.

Le Napalm, inventé en 1942, est une substance à base d'essence. Il est habituellement utilisé comme bombe incendiaire. Sa formule est faite pour brûler à une température précise et coller aux objets et aux personnes. En 1980, son usage contre les populations civiles a été interdit par une convention des Nations unies.

Le groupe Gunns, principal exploitant forestier, justifie les méthodes du type lance-flammes en disant qu’elles auraient pour effet de provoquer une germination végétale spontanée dans les zones où la terre a été littéralement brûlée. En Tasmanie, le napalm est répandu sous le contrôle de la commission forestière, qui réitère que sous les terres brûlées germe déjà la prochaine couverture végétale. Le groupe Gunns précise que « toute forêt récoltée est régénérée », ce qui semble faux, selon les rumeurs des associations.

Pour justifier ces pratiques, l’industrie renvoie à la tradition des feux sur l’île et au rôle particulier que les incendies ont joué dans la spécificité des paysages tasmaniens. Une argumentation qui manque cependant de crédibilité. Il est évident que la fréquence des feux de forêts est en augmentation. Quant aux superficies incendiées, elles augmentent suivant une courbe exponentielle. Une essence comme l’Eucalyptus regnans est particulièrement vulnérable au feu. L’intégrité de la végétation tasmanienne est donc menacée par l’industrie du bois.

Les forêts anciennes de Tasmanie ne bénéficient que d’un semblant de protection. Les plus grands feuillus de la terre sont sacrifiés pour satisfaire nos besoins en papier et en bois dur. Pays importateur, la Belgique contribue à la destruction de ces écosystèmes lointains .

Le respect de la diversité biologique passe par une meilleure définition des aires protégées et un contrôle bien plus effectif de celles-ci. Il est illusoire de croire que tout cela peut se réaliser sans le support financier des états. Mais le respect de la diversité biologique passe également par la réforme des pratiques industrielles, notamment dans des zones à haute valeur écologique. Une double nécessité incontournable...

Mais la Tasmanie n’est pas uniquement éloignée dans l’espace. Elle nous renvoie également aux temps des origines de la terre. Dans ce coin perdu du Pacifique sud, les forêts tempérées humides nous racontent un pan de l’évolution des essences depuis les temps reculés du Gondwana. Certaines essences présentes dans ces forêts sont, en effet, considérées comme des reliques de cette époque où l’Australie, Madagascar, l’Amérique du Sud, la Nouvelle-Zélande et l’Antarctique étaient réunis au sein de ce vaste continent. Les arbres du genre des nothofagus comme l’hêtre de myrte renvoient à cette époque tandis que les Eucalyptus renvoient à un épisode ultérieur de l’histoire de la planète.

Autre caractéristique propre à la Tasmanie, le grand nombre de marsupiaux qui renvoient - selon leurs espèces - à une époque reculée de notre histoire. Marsupial carnivore et nocturne, le diable de Tasmanie (qui ne vit plus que sur l’île qui lui a donné son nom) présente par exemple des similitudes avec des espèces localisées en Amérique du Sud et renverrait donc au Gondwana. Longtemps chassé par l’homme, il jouit actuellement d’une protection légale et les populations se sont stabilisées. Ce qui n’est pas le cas pour d’autres espèces notamment de nombreux oiseaux dont la perruche à ventre orange et l’aigle de Tasmanie.

Il est indéniable que ce ‘bout de nature sauvage’ ne présente pas une diversité biologique quantitativement comparable aux luxuriants écosystèmes tropicaux. Son relief spécifique, son isolement relatif et son climat tempéré et humide, lui ont assuré une végétation particulière abritant une faune largement endémique. Les formes de vie qui s’y sont développées sont uniques et méritent à ce titre d’être sauvegardées.

On constate que "20.000 hectares de forêts primaires sont abattues chaque année", et le reboisement n’est plus assuré puisque "80.000 hectares de forêt ont été transformés en plantations durant ces sept dernières années."
Exploitation forestière aux portes d’aires protégées Les autorités de Tasmanie estiment que 95% des espaces naturels sont protégés contre les interventions de l’industrie du bois et que 40% du territoire bénéficie d’un statut d’aires protégées. Il s’agit en réalité d’estimations pouvant prêter à confusion.
  • 20% du territoire est considéré comme Patrimoine mondial de l’humanité. Pour une partie importante, il ne s’agit pas d’espaces boisés. • La Tasmanie a perdu 75% de ses forêts originelles. Les 25% restants ne bénéficient, dans leur grande majorité, d’aucun statut de protection.
  • 30% de la surface boisée de Tasmanie (plus précisément de ses espaces naturels) est actuellement menacée par l’industrie. Les forêts d’eucalyptus sont largement représentées dans ces 30%.
  • Au Nord-Ouest de la Tasmanie, dans une région intitulée Tarkine, s’étendent les plus grandes forêts tropicales tempérées d’Australie. Ces forêts voisinent avec des forêts d’Eucalyptus obliqua. Seul 5% de ces espaces naturels a un statut de parc national.
  • Une estimation de 1996 faisait état de la perte de 87% des forêts anciennes d’Eucalyptus regnans. Moins de la moitié des 13% restant bénéficie aujourd’hui d’une protection. Dans la vallée du Styx où s’élancent les plus hauts feuillus du monde, il n’est pas question de protection.
Cette vallée qui n’est pas très distante de Hobart (principal centre urbain de Tasmanie) regroupe des Eucalyptus regnans d’une hauteur impressionnante. Ces forêts sont des forêts anciennes abritant une faune et une flore spécifique. S’il est nécessaire de protéger ces forêts anciennes, c’est parce qu’elles constituent un espace naturel inviolé, témoin de ce qui a été perdu ailleurs... Du point de vue de la biodiversité, l’écosystème qui s’y développe ne peut pas être comparé aux écosystèmes marqué d’un impact humain et notamment de coupes forestières et d’incendies orchestrées par l’industrie du bois.

Dans la mythologie, le fleuve Styx entourait neuf fois les enfers. Les écologistes craignent que son homonyme de Tasmanie – un des treize fleuves du monde portant le nom qui signifie "haine" en grec – risque un jour de traverser des territoires tout aussi désolés.

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