lundi 17 août 2009

La Jaguar Type E

Lorsque Jaguar dévoile sa Type E au salon de Genève en mars 1961, c'est la surprise totale. Surprise, car personne n'avait eu d'informations préalable sur la future Grand Tourisme de la marque de Coventry, et également parce que la ligne de la Type E a totalement subjugué les foules. Une ligne signée William Lyons, un châssis sportif tout en restant confortable (pour l'époque) et des performances de premier ordre caractérisait alors la nouvelle Jaguar Type E. Sans parler du prix sans concurrence alors, puisque 3 fois moins cher qu'une Ferrari et deux fois moins qu'une Maserati...

Depuis la fin de la guerre, Jaguar symbolise à merveille le Grand-Tourisme à l'anglaise. Toute la généalogie des roadsters XK (120 à 150) a largement contribué à construire cette image sportive en complément des nombreuses victoires dans des compétitions majeures. Mais à l'orée des années 60, malgré toutes leurs qualités, les XK ne peuvent masquer leur âge. Alors, en secret, Coventry travaille sur la remplaçante. Les journalistes de l'époque, et notamment les Français , sont alors totalement tenus à l'écart et les quelques dessins de perspective qui sont dévoilés seront loin de la réalité. Ce secret a été si jalousement gardé que les journalistes français, dont le très critique Auto-Journal portera à la sortie de la Jaguar Type E des jugements totalement partisans et surtout de mauvaise foie (" Il ne s'agit que d'un modèle de transition conçu pour écouler un stock de vieux moteurs, car plusieurs prototypes tournent avec des moteurs alu ").

Le 15 mars au salon de Genève, c'est la cohue des journaliste dans le parc des Eaux-Vives qui peuvent admirer en avant-première la nouvelle star de Coventry. Puis, c'est le grand bain de foule au salon de Genève. Les commentaires et réactions sont dithyrambiques.
A chaque apparition d'une Jaguar Type E, dans la rue, c'est l'attroupement. Michel Cognet, qui a vécu de l'intérieur le lancement de la Type E en France puisqu'il travaillait alors depuis 1957 chez l'importateur Royal-Elysées, raconte dans le magazine Rétroviseur le flot de stars et de personnalités qui se sont empressées de prendre commande de la belle anglaise : Françoise Sagan, Johnny Haliday, Bernard Consten, Charles Trenet, Pierre Bardinon, Robert Hirsch, sans parler des têtes couronnées.

Mais non contente de posséder une ligne à couper le souffler, la Jaguar Type E pouvait se targuer de posséder un châssis royal pour l'époque…
On a souvent attribué le design de la Jaguar Type E à Sir William Lyons. Mais comme dans chaque genèse d'automobile, il y a un capitaine à la barre, et toute une équipe derrière lui qui travaille dans son ombre. C'est exactement le cas de la conception de la Jaguar Type E puisque c'est Malcom Sayer, aérodynamicien qui vient de l'industrie aéronautique, qui assume la paternité du coup de crayon. Le style épuré et aérodynamique de la Jaguar Type E s'explique ainsi par le parcours préliminaire de son géniteur.

Habillant un châssis tubulaire très léger, on le verra après, notre designer anglais a offert à la Jaguar Type E un capot immensément long et plat qui a vite contribué au magnétisme opéré sur le public par la noble GT de Coventry.
L'ouverture dudit capot est totale avec le bloc complet qui bascule vers l'avant et découvre intégralement la mécanique. A l'avant, une petite calandre ressemble à s'y méprendre à une petite bouche entre-ouverte suggestive laissant la porte ouverte aux imaginations les plus fertiles. Deux phares ronds sont sous globes et encastrés. L'arrière est de type Fastback avec le toit qui descend jusqu'aux fins feux arrière. Les surfaces vitrés se distinguent par des montants très fins et élégants recouverts de chrome. Enfin, l'arrière de la Jaguar Type E se singularise par des ailes aux courbes très prononcées. Vous le comprendrez vite, il y a beaucoup de charme et de féminité dans ce design sans verser dans la mièvrerie. De fins pare-chocs en chrome (la période des boucliers complets en plastique est encore bien loin…) avec des butoirs faits du même métal ceinturent les faces avant et arrière de la belle Jaguar.

Les jantes à rayon avec écrou à fixation centrale rappellent à tous les amateurs que la Jaguar Type E est bien à ranger désormais dans la catégorie " véhicules de collection ".
Pour le cabriolet, le toit a tout simplement été supprimé et la ligne s'apparente alors avec le hard top ou la capote plus à un coupé plus classique. L'accès à bord n'est pas aisé, car la Jaguar Type E est basse, et l'espace intérieur est compté. L'habitabilité intérieure reste mesurée malgré les dimensions extérieures de la voiture. Le design de la planche de bord est bien dans le ton de l'époque avec une batterie de compteur qui vient même déborder sous les yeux du passager. Le volant avec jante en bois possède trois branches ajourées.

Le réglage du dossier est… absent !! La position de conduite est heureusement excellente mais quasiment imposée puisque seul l'assise peut être avancée ou reculée.
Par la suite, les autres générations de Jaguar Type E recevront un réglage des dossiers de série. L'aluminium guilloché recouvre toute la partie centrale de la planche de bord et est du plus bel effet. La finition à bord ne souffre pas la critique, bien au contraire, et un coffre conséquent accessible depuis l'intérieur ou par le hayon avec son ouverture originale permettait d'envisager les voyages au long court. N'est-ce pas là justement la vocation première d'une GT ?… Si lors des études préliminaires, une carrosserie tout alu avait été envisagé dans un premier temps, c'est une structure classique en acier qui l'a emporté essentiellement pour des raisons de coûts.

Jaguar doit tant au moteur XK que nous ne pouvons parler de lui sous le capot de la Jaguar Type E sans rappeler son histoire. Lorsque le roadster Jaguar XK120 est présenté à Earls Court en 1948, le salon de l'auto anglais, le coup de foudre avec le public est immédiat. Son nom " XK 120 " vient justement de son moteur et ses performances. Equipé du moteur XK, ce six en ligne de conception Jaguar, il autorisait à la Jaguar XK120 Roadster une vitesse maximale de… 120 miles à l'heure ! Ce moteur fera le bonheur de la marque de Coventry jusqu'en 1972, puisqu'il équipera la gamme Jaguar y compris la berline XJ. Né en 3,4 litres avec son bloc en fonte et une culasse aluminium, sa distribution se faisait par deux arbres à cames en tête. Pas mal en 1948 !!

Les chambres de combustion étaient de type hémisphériques et la puissance de 160 ch SAE à 5 200 tr/mn impressionnait les foules. Pour la sa Jaguar Type E, Coventry l'équipe d'une version réalésée du moteur XK. Le 6 en ligne a désormais une cylindrée de 3,8 litres (87x106 mm) et conserve son caractère de moteur longue course. Plus de couple donc dès les plus bas régimes, mais des régimes de rotation maximum peu élevés. La puissance annoncée par l'usine est de 265 ch SAE à 5500 tr/mn et un couple de 35,9 mkg à 5500 tr/mn. Le XK de la Jaguar Type E est alimenté en précieux carburant par trois carburateurs SU HD8, montés au-dessus de la tubulure d'aspiration. La pompe à essence est située dans le réservoir et est électrique.

Elle est même capable d'assurer une alimentation par injection, prévision des éventuels développement moteurs de la Jaguar Type E. Sur ces premières générations de Jaguar Type E 3.8, c'est la vénérable boîte de vitesses Moss à 4 rapports + marche arrière qui est montée.
La première vitesse est donc non synchronisée. Il faudra attendre quelques années pour que Jaguar monte des boîtes de vitesses automatiques Borg Wargner, alors montées en priorité pour les besoins du marché américain. Aujourd'hui encore, les performances que procurent le moteur XK 3.8 à la Jaguar Type E sont peu communes. Avec 240 km/h en vitesse de pointe, moins de 8 secondes pour le 0 à 100 km/h et moins de 29 secondes pour le kilomètre départ arrêté, de nombreux automobilistes dans leur voiture " moderne " sont surpris de la bonne santé des Type E.

Mais au-delà des accélérations pures, c'est dans le domaine des reprises, grâce à sa typologie longue course, que la Jaguar Type E excelle. Plus vous pressez la pédale d'accélérateur, plus la poussée semble inaltérable et infinie. Une sensation rare procurée habituellement par les très grosses cylindrées.
Le 15 mars 1961, Jaguar présente au salon de Genève de la nouvelle Jaguar Type E. Le 21 mars, le premier exemplaire français arrive en France (châssis n°885 006) et le 7 avril, la Jaguar Type E est réceptionnée aux Mines françaises. A la fin de l'été, la production des Jaguar Type E démarre à l'usine. En octobre, premières modifications mineures avec les crochets de capot de verrouillage extérieur qui laissent place à une commande intérieure. L'année suivante, c'est le premier gros changement de structure sur les Jaguar Type E : le plancher n'est plus plat, mais surbaissé au niveau des pieds. On différenciera ainsi les premiers millésimes des suivants en les appelant " plancher plats ".

Dans le même temps pour le roadster, le hard top devient disponible en option. En août 1963, la planche de bord est entièrement noire et possède un accoudoir central relevable.
Pour son dernier millésime de production, en 1964, les derniers exemplaires profitent du premier rapport synchronisé (enfin !). Au salon de Londres de la même année, le moteur 4,2 litres remplace le 3,8 litres. Jaguar arrête la production des Jaguar Type E MkI 3.8. Au total 15 482 exemplaires de Jaguar Type E MkI 3.8 toutes carrosseries confondues auront été produits. Un beau succès pour une GT de cette catégorie dans les années 60…
Aujourd'hui, la donne n'a pas changée, et il faudra débourser 3 fois plus pour l'acquisition d'une belle GT italienne qui aurait le même prestige que la noble GT de Coventry...

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