samedi 29 août 2009

Endettement des Etats : la montée des périls


"Si on veut schématiser la dynamique de la crise financière, on peut la représenter comme le transfert de l'excès d'endettement, d'un agent économique à l'autre. On observe au départ, dans beaucoup de pays (Etats-Unis, Royaume-Uni, Espagne, Suède, Australie, Irlande et, à un moindre degré, France et Italie) que la hausse de l'endettement des ménages a été, depuis la seconde moitié des années 1990, le moyen d'obtenir une progression forte de la demande intérieure et de la production. Si les taux d'endettement des ménages étaient restés constants, la croissance aurait été trop faible, avec la désindustrialisation et le développement d'activités de services domestiques peu productifs la taille insuffisante (même aux Etats-Unis) du secteur des nouvelles technologies pour tirer l'ensemble de l'économie.

Cette stratégie de croissance par l'endettement a conduit un niveau excessif de dette des ménages, et donc d'exposition au risque de défaut des banques de détail ayant distribué du crédit à ces ménages. Le caractère excessif de l'endettement des ménages a été révélé, à partir de 2007, par la chute de leur demande de crédit, de l'investissement immobilier, des achats de voitures...

Mais les risques liés à l'excès d'endettement des ménages ne sont pas restés localisés dans les bilans des seules banques de détail. Dans une seconde étape, ces banques les ont transmis en partie (50% en Europe, 70% aux Etats-Unis) aux autres banques, aux banques d'investissement, aux investisseurs et aux «hedge funds» (Fonds d'investissement à risques), par la titrisation et l'émission des dettes bancaires.

L'investissement en Asset Backed Securities et en obligations des agences de garantie des prêts immobiliers (Freddie Mac, Fannie Mae) a conduit les intermédiaires financiers, autres que les banques de détail à porter une partie importante du risque de défaut des ménages. Lorsque la crise a débuté, ceci a conduit à de fortes pertes pour ces intermédiaires financiers, démultipliées par les chutes de prix des autres actifs (dues à la contagion, aux ventes forcées), par les mécanismes pro-cycliques (en particulier l'interaction entre les normes comptables et les règles prudentielles). Depuis le début de la crise, les banques ont dû passer des dépréciations d'actifs pour 1 000 milliards de dollars et les hedge funds ont perdu 40% de leurs actifs en gestion...

Pour éviter des faillites massives des banques, les Etats ont alors dû intervenir en garantissant les dettes des banques, en garantissant ou en achetant leurs actifs risqués (toxiques) en les recapitalisant et même en les nationalisant (au Royaume-Uni, aux Pays-Bas...).

Au total, au terme de ce processus, une partie substantielle du risque lié à l'excès d'endettement des ménages est donc passée dans les mains des Etats. On peut même considérer que les déficits publics, donc les hausses des dettes publiques, qui ne correspondent pas directement au sauvetage des banques mais résultent du soutien de l'économie correspond à ce même processus de transfert des risques vers les Etats : les transferts de revenus aux ménages, qui viennent des dépenses publiques supplémentaires et des baisses d'impôts, permettent aux ménages de se désendetter et réduisent donc le risque de défaut des ménages au prix d'une hausse des dettes publiques.

De même que les Banques centrales jouent le rôle de prêteur en dernier ressort, les Etats jouent donc le rôle de porteur des risques et d'assureur en dernier ressort. Il est donc très important que la solvabilité des Etats reste toujours intacte, ce qui leur permet, en accroissant les dettes publiques, de réduire les risques de défaut liés à l'excès d'endettement du secteur privé.
Si les Etats ne sont plus solvables, plus personne ne peut re-solvabiliser les banques lorsque celles-ci sont en difficulté, ce qui impliquerait des défauts en chaîne, l'arrêt de la distribution du crédit... Plus personne ne peut lever de la dette, si la dette publique devient aussi suspecte que la dette privée et qu'il y a défiance des épargnants vis-à-vis des dettes privées.

Or, on a observé dans la période récente, comme dernier développement de la crise, les premiers signes de défiance vis-à-vis des dettes publiques, en particulier une forte hausse des taux d'intérêt payés par beaucoup d'Etats de la zone euro par rapport à ceux sur les titres publics allemands (150 à 300 points de base d'écart de taux pour la Grèce, l'Irlande, le Portugal, l'Espagne, l'Italie... -la France est épargnée grace à son taux de fécondité !!!). Le risque, lorsque ce type d'évolution se produit, est la démultiplication de la chute des prix des actifs par la perte de liquidité sur les marchés de ces actifs, ce qu'on a observé durant la crise pour de nombreux actifs financiers: actions, obligations d'entreprises, prêts interbancaires... Un doute apparaît sur la solvabilité d'un emprunteur, ceci conduit à une baisse du prix de sa dette qui fait disparaître les acheteurs. La liquidité sur le marché de cette dette disparaît, son prix s'effondre, et l'emprunteur, qui ne peut plus émettre, est en grande difficulté.

Si une telle évolution se produisait pour des dettes publiques de la zone euro, les pays concernés pourraient être en situation de cessation de paiements, et toute possibilité, pour eux, d'aider le secteur privé à rester solvable, disparaîtrait : il n'y aurait plus de porteur de risque, d'assureur en dernier ressort dans la zone euro. Même si certains pays ont des dettes publiques trop élevées (Grèce, Italie, Belgique), il est indispensable que leurs possibilités d'émission restent intactes, d'autant plus que leurs difficultés viendraient bien plus d'un problème d'illiquidité que d'un problème de perte réelle de solvabilité: les déficits publics de la zone euro ne sont pas gigantesques, la grande majorité des pays pourraient accroître la pression fiscale en cas de besoin.

Comment assurer la liquidité des marchés de dettes publiques et éviter qu'une crise de liquidité sur ces marchés n'aboutisse à une crise de solvabilité des Etats? Les Etats de la zone euro peuvent, bien sûr, se soutenir entre eux, mais cette possibilité est limitée par le fait qu'ils peuvent presque tous souffrir, comme on l'a vu dans la période récente, d'une hausse des primes de risques sur leurs taux d'intérêt. La solution ultime réside donc, non dans la solidarité entre les Etats, mais dans la monétisation, en cas de crise, par la Banque Centrale Européenne (BCE), de la dette publique d'un pays en difficulté. Si les marchés financiers savent que, en dernier recours, la BCE achètera la dette publique d'un pays menacé de ne plus pouvoir émettre contre création monétaire, il ne peut pas y avoir de défiance forte vis-à-vis de cette dette, ni de crise majeure de liquidité ou de solvabilité.

Les règles actuelles de la zone euro interdisent le sauvetage d'un Etat en difficulté (clause de no bail-out) et la monétisation des dettes publiques par la BCE. L'idée défendue par certains gouvernements, et par la BCE, est que le sauvetage d'un Etat ou la monétisation de sa dette publique créeraient un aléa de moralité : les autres pays seraient incités à avoir des déficits publics excessifs puisqu'ils seraient finalement sauvés par la BCE. Pour garder la crédibilité de l'euro, en évitant les dérapages budgétaires de certains pays membres de la zone euro, il faudrait donc, si la situation se présentait, laisser un pays de la zone euro faire défaut, ou du moins être dans l'incapacité de continuer à se financer.

En réalité, la quasi totalité des économistes et des intervenants des marchés financiers sont persuadés que le défaut d'un émetteur souverain de la zone euro entraînerait un rejet par les investisseurs de la totalité des dettes libellées en euros, le transfert de la crise aux autres emprunteurs et une perte de crédibilité de l'euro.
Rappelons ici que le choix du Trésor des Etats-Unis de laisser Lehman Brothers faire faillite a été dicté par la même volonté d'éviter l'apparition d'un aléa de moralité concernant les banques d'investissement. La faillite de Lehman peut être considérée comme la cause du redoublement de la crise à la fin de 2008 avec la crise de liquidité sur le marché intermédiaire, sur le marché du crédit et sur les actifs des pays émergents.

Si un pays de la zone euro en difficulté a mené une politique budgétaire déraisonnable, et n'est pas seulement affecté par une crise de liquidité infondée, ceci aurait dû être détecté et corrigé, grâce à une vraie surveillance multilatérale des politiques économiques, avant que la crise ne survienne.

Au total, la crise a montré la nécessité que les Etats puissent jouer le rôle de garant des dettes privées en dernier ressort, en particulier pour éviter des faillites bancaires; ceci nécessite qu'il n'y ait pas de doute sur la solvabilité des Etats et que des crises de liquidité ne puissent pas interrompre leurs possibilités d'émissions. In fine, la solvabilité des Etats et la liquidité de leurs dettes ne peuvent être assurées que par la possibilité de monétisation des dettes publiques par la Banque Centrale, d'autant plus que, dans les économies contemporaines, un faible doute sur la solvabilité peut entraîner une crise de liquidité grave. Eviter les aléas de moralité doit alors être réalisé "ex ante", par la supervision en régime normal des politiques économiques et non ex post une fois la crise déclarée. Il ne faudrait pas recommencer avec les Etats de la zone euro l'erreur faite avec Lehman..."

Article écrit par Eric Lieser et publié sur "Slate.fr"

1 commentaire:

Anonyme a dit…

You got it my friend, but the ECB will not create inflation. ECB governors are perfectly right, inflation would do much more harm than good. The only way for governments to decrease debts in the future is SAVINGS. Here we go again with "toil, tears and sweat". This said, we are alive : there are always a thousand suns behind the clouds :))