jeudi 4 juin 2009

3 juin 1989, le " tremblement de terre " de Pékin


Il fait bon vivre en Chine. On s’enrichit, on consomme, on s’amuse, on voyage, on visionne tous les films du monde en version piratée, on tchate sur Internet. Il fait bon vivre, jusqu’au jour où, sans vraiment s’en apercevoir, on sort des clous. Pour un article «illégal», une rencontre avec un «personnage indésirable», une recherche poussée sur un événement «interdit», vous êtes «invité à prendre le thé» par d’aimables policiers en civil qui savent déjà tout de vous, de vos études à vos derniers rendez-vous. C’est un moment désagréable, où l’on vous fait signer une «autocritique» et la promesse d’arrêter toute «action subversive». La mésaventure peut s’arrêter là ou se poursuivre dans un camp de travail. Le risque existe, certains l’ont appris a leurs dépens. On ne sait jamais. Dans l’euphorie de «la réforme et de l’ouverture» prônées depuis trente ans et l’apparente insouciance au pays du «socialisme à caractéristiques chinoises», il est souvent difficile de mesurer la limite à ne pas franchir dans la Chine d’aujourd’hui. Il y a vingt ans, on disait «contre-révolutionnaire». Désormais, on ne sait plus trop.

Depuis 1949, le pays se construit sur des trous de mémoire. Obnubilé par sa survie, le régime s’efforce de filtrer le passé, dans l’espoir insensé que le temps effacera les pages les plus sombres. Quel manuel d’histoire parle de la grande famine (30 millions de morts au début des années 60, conséquence du Grand Bond en avant) ? Qui a jamais raconté la Révolution culturelle, même en famille ? Quels journaux évoquent le 4 juin 1989, classé «incident politique» par le pouvoir ? En parler ouvertement, réclamer non pas des comptes mais la vérité, peut devenir «une atteinte à la sûreté de l’Etat» passible de quelques années de prison. Le bilan de Mao, «70 % bon, 30 % mauvais»,est inscrit dans le marbre et son portrait veille toujours sur la place Tiananmen. Effacé le grand mouvement démocratique qui eut lieu là il y a vingt ans. Gommé le premier bilan établi par la mairie de Pékin le 30 juin 1989 : «Des dizaines de militaires morts, 6 000 membres des forces de l’ordre blessés, plus de 3 000 civils blessés et plus de 200 morts, dont 36 étudiants.»

L’histoire, qui s’écrit ailleurs, à Hongkong ou aux Etats-Unis, évoque des milliers de morts. Comment le savoir ? En Chine, c’est un «sujet interdit». Sur Internet, «Tiananmen» conduit au mausolée de Mao et le «4 juin» à une page blanche. Le reste n’est que fantasme des «médias occidentaux biaisés», de quelques «malfaisants» au bord de l’asile psychiatrique ou des mères de Tiananmen que personne ne veut entendre. Pour passer de l’autre coté du miroir officiel, il faut aller voir les militants des droits de l’homme, les avocats pugnaces et quelques anciens de Tiananmen restés au pays, qui vivotent tant bien que mal. Ceux qui se sont tus ont une place au soleil, travaillent, consomment, s’amusent, voyagent. Les irréductibles doivent cohabiter avec des anges gardiens postés en bas de chez eux. Bao Tong est l’ex-bras droit de Zhao Ziyang, le numéro 1 du PCC, destitué puis emprisonné pour s’être opposé à l’intervention armée en juin 1989.

A 76 ans, Bao Tong se flatte de nourrir, depuis sa sortie de prison, 24 fonctionnaires employés à le surveiller jour et nuit. Mais qui connaît Bao Tong ? Il n’a jamais vu un journaliste chinois. La presse étrangère en revanche, fait la queue sans ennuis devant le bureau de la Sécurité publique installé à sa porte. «Je suis la vitrine publicitaire du régime, la preuve qu’on peut parler de tout»,dit-il. «Mais pas un Chinois ne me connaît.» Bao Tong a disparu de Chine depuis vingt ans, comme les événements de Tiananmen.

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