samedi 4 avril 2009

le centenaire de Tel-Aviv

La colline du printemps a cent ans. Et pas une ride. Au contraire, Tel-Aviv Jaffa n'en finit plus de s'épanouir. En pleine mue architecturale, la ville se modernise pour répondre à son statut désormais reconnu bien au-delà de ses frontières, de bastion économique et culturel d'Israël.
De l'antique Jaffa au nouveau port de Tel-Aviv, elle se pare, impatiente, de ses plus beaux atours dans l'attente des festivités de son anniversaire séculaire.

En ce premier week-end du mois d’avril, s’ouvrent les festivités du centenaire de la première ville hébraïque au monde, l’un des symboles les plus remarquables de l’entreprise sioniste. Tel Aviv, aujourd’hui une métropole devenue le centre économique, culturel et politique d’Israël, est née comme un quartier juif au nord de Jaffa, citée plurimillénaire.
Tel Aviv, ville levantine au bord de la Méditerranée, enthousiasme ou rebute. Ville laïque, souvent mise en opposition à Jérusalem la ville religieuse, elle est présentée comme insouciante, artificielle, extravertie et tournée vers le futur. Ville moderne, dont le nom est connu dans le monde entier, elle a réussi la performance d’être classée comme patrimoine mondial de l’humanité par l’Unesco. Comme toute grande cité qui se respecte, la ville qui a vu naître l’Etat d’Israël a déjà sa légende de fondation. La première ville hébraïque surgie des sables et construite par une poignée de Juifs qui aspiraient à la modernité, est l’un des symboles de la réussite du sionisme.

Le projet de la création d’un nouveau quartier juif à l’extérieur de Jaffa, quelque peu insalubre, a émergé en juillet 1906 lors d’une réunion organisée par un petit groupe de Juifs appartenant au cercle ’Yéchouron’. Akiva Arieh Weiss, un nouvel immigrant de Biélorussie, orfèvre de métier, fut à l’origine de l’initiative de créer un quartier d’habitation moderne et propre. Pour réaliser ce projet, ils fondèrent la Société des Bâtisseurs de Maisons (Agoudat Boné Batim). Deux ans plus tard, l’idée commence à prendre forme. La nouvelle société prit alors le nom de Ahouzat Baït (Domaine d’habitation) qui deviendra aussi le premier nom donné à ce quartier. A cette époque, à Jaffa, sur une population de 40 000 habitants, on comptait près de 8000 Juifs qui se sentaient quelque peu à l’étroit et dont le style de vie était peu adapté aux conditions de cette ville. Le nouveau quartier serait comme une cité-jardin selon le modèle proposé par Sir Ebenezer Howard. Il n’était pas question pour les membres de Ahouzat Baït de construire une simple extension de Jaffa mais une véritable infrastructure autonome qui prendrait modèle sur les grandes villes européennes avec des habitations confortables, des jardins privés et publics et des grandes avenues. Ils ne voulaient pas non plus imiter les quartiers juifs déjà existants hors de Jaffa, comme Nevé Tsedek ou Névé Shalom, qui reprenaient le modèle de la cité orientale avec des cours intérieures et des maisons les unes sur les autres. Il fallait créer quelque chose de tout-à-fait nouveau : un quartier qui deviendrait une localité indépendante avec un plan d’urbanisation, l’eau courante, le tout-à-l’égout etc.

Dans un premier temps, les organisations juives et sionistes qui aidaient au développement des villages agricoles refusèrent d’apporter une contribution financière. Pour la construction des 66 premières maisons, les membres de Ahouzat Baït avaient besoin de fonds. Le terrain de 13, 5 hectares, sablonneux avec quelques pieds de vigne laissés à l’abandon, fut acheté par des courtiers immobiliers juifs. Son acquisition et son enregistrement au cadastre ne se firent pas sans peine. L’administration ottomane ne voyait pas d’un très bon œil l’édification d’un nouveau quartier juif à l’extérieur de Jaffa. Pour la petite histoire, les Turcs avaient installé un camp militaire près du futur quartier sachant bien que la loi ottomane interdisait la construction de maisons près d’installations tenues par l’armée. Dans un empire en déclin où le bakchich remplaçait le système administratif légal, les difficultés furent surmontées…

Un fonctionnaire de l’Agence Juive, Arthur Ruppin, joua également un rôle important dans l’édification de la future localité. Il réussit à persuader le Kerem Kayemet Leisrael et l’Anglo-Palestine Bank de l’Organisation Sioniste d’accorder un prêt à un taux modéré d’intérêt.
C’est le photographe Abraham Suskin qui allait immortaliser la fondation de ce qui deviendra la première ville hébraïque au monde. On peut y voir une noble assemblée de 60 ou peut-être 70 personnes, en habit de fêtes, qui venait de participer à un étrange tirage aux sorts. Ce 11 avril 1909, deuxième jour de Pessah, il fut décidé d’attribuer à chaque membre fondateur du quartier une parcelle de terre sur laquelle il construirait sa maison.

Akiva Arieh Weiss raconte dans ses mémoires qu’il avait ramassé sur la plage 60 coquillages gris et 60 coquillages blancs. Sur les coquillages blancs on inscrivit le nom des participants et sur les gris le numéro de la parcelle à attribuer. Puis le tirage au sort eut lieu. Chaque propriétaire tira deux coquillages de couleurs différentes. Meïr Dizengoff, qui sera le premier maire de Tel Aviv, reçut la parcelle de terre où se déroula la cérémonie. C’est à cet endroit même que 39 ans plus tard sera proclamée la création de l’Etat d’Israël par David Ben Gourion.
Une légende raconte également qu’un fou de service aurait hurlé à l’adresse des fondateurs : "Espèces de cinglés, vous allez périr dans le désert".
Mais l’utopie allait très vite devenir réalité. Le 30 avril de cette même année, la première pierre de la première maison fut posée. En octobre 1909, quelques dizaines de familles purent déjà s’installer. Le premier quartier, qui jettera les bases de Tel Aviv, sera habité par 66 familles considérées comme les fondateurs de la ville. Les premières maisons de Ahouzat Baït étaient à deux étages, avec des toits en tuiles et un jardin entouré d’une murette de pierre. S’il faisait bon y vivre, si l’endroit était propre et calme, il restait tout-de-même un quartier-dortoir, une dépendance de Jaffa. Les Turcs s’opposèrent à l’ouverture de boutiques ne voulant pas que le nouveau quartier prenne son autonomie. Au terme de nombreuses tractations, les autorités ottomanes autorisèrent l’ouverture d’un kiosque qui aurait le droit de vendre des boissons non alcoolisées. Ce kiosque existe encore aujourd’hui sur le boulevard Rothschild.

Quelques mois après l’installation des premières familles, une polémique allait enflammer les esprits : quel nom donner au nouveau quartier hébraïque ? Plusieurs propositions furent avancées : Nevé Yaffo (résidence de Jaffa), Nof Yaffé (Beau paysage), Nouvelle Jaffa, Aviva (la printanière) ou encore Ivria (l’Hébraïque). On proposa également le nom de Herzlia (en hommage à Théodor Herzl). Finalement, c’est Menahem Sheinkin qui lança l’idée quelque peu originale de Tel Aviv. Ce nom était le titre de la traduction hébraïque du roman de Herzl, Altneuland (Terre ancienne et nouvelle) faite par Nahum Sokolov. ’Tel’ renvoie au passé et à l’antiquité et ’Aviv’ (printemps) à la renaissance et au renouvellement. Le vote eu lieu le 21 mai 1910 lors de l’assemblée du comité de Ahouzat Baït : 20 se prononcèrent pour le nom Tel Aviv contre 15 pour Nevé Yaffo. Les membres qui votèrent ce jour-là ignoraient que le nom de Tel Aviv figurait déjà dans la Bible, dans le livre d’Ezéchiel (3, 15) et qu’il renvoyait à une ville de Babylonie qui accueillait les exilés de Sion !

A partir de 1913, ce nom sera aussi attribué aux autres quartiers construits autour de que ce qui sera dorénavant le cœur de la cité.
Le quartier de Tel Aviv ne fut pas le premier à voir le jour en dehors de Jaffa. Il existait quelques hameaux arabes, le village de Sarona fondé en 1871 par les Templiers allemands et habité dans les années 20 par quelques 270 personnes et, le quartier de Nevé Tsedek fondé en 1887 par des membres des Amants de Sion et des immigrants de la seconde alya (immigration). En 1904, Nevé Tsedek comptait déjà une centaine de familles. Mais les maisons étaient petites, serrées les unes contre les autres et peu modernes. Un autre quartier du nom de Nevé Shalom verra le jour en 1890. Il ressemblait un peu à une petite ville juive de la Diaspora avec ses institutions religieuses, ses ateliers et ses petites boutiques. Nevé Tsedek et Nevé Shalom qui seront rattachés à Tel Aviv resteront durant des dizaines d’années des quartiers pauvres.

Les premiers pionniers de Tel Aviv seront fiers de l’œuvre réalisée : le quartier fut construit entièrement par la main d’œuvre juive et non arabe, comme c’était le cas dans de nombreux villages agricoles ou des quartiers juifs de Jérusalem. Pour les fondateurs, il ne s’agissait pas seulement de construire un quartier bourgeois avec toutes les commodités de la modernité mais réaliser un rêve : celui de bâtir une cité juive moderne où la langue serait l’hébreu et de réaliser l’idéal sioniste qui n’était pas seulement travailler la terre. Edifier quelque chose de neuf, d’unique en son genre à cette époque au Moyen-Orient.

Tel Aviv sera très vite le centre urbain le plus important de la présence juive en Palestine. Il va répondre aux besoins de dizaines puis de centaines de milliers de Juifs qui désiraient vivre une vie conforme aux normes européennes tout en réalisant l’idéal sioniste.
Tel Aviv est la première ville qui a été édifiée par des Juifs en Terre sainte depuis au moins la fin de la période talmudique (500 après JC). Elle symbolise donc, plus que toutes les autres cités du pays, le retour du peuple juif sur la Terre de la Promesse.

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