dimanche 25 janvier 2009

Thon rouge : les nouveaux quotas ne protègent pas l'espèce

Signe de l'âpreté des discussions, ce n'est que tard dans la soirée du lundi 24 novembre que les membres de la Commission internationale pour la conservation des thonidés de l'Atlantique (Cicta) se sont séparés après avoir défini, pour l'année 2009, les nouveaux quotas de pêche du thon rouge, une espèce menacée de disparition à cause de la surpêche dont elle est victime en Méditerranée.

Réunis à Marrakech, au Maroc, depuis une semaine, les membres d'une quarantaine de pays représentés à la Cicta ont décidé de ramener les prises de thon rouge de 28 500 tonnes, en 2008, à 22 000 tonnes en 2009. Les membres de la commission sont également tombés d'accord pour fermer, dès le 20 juin 2009, la pêche pratiquée par les thoniers senneurs, les bâtiments les plus modernes capables de prendre jusqu'à 500 tonnes par jour.

La réduction des prises est une baisse en trompe-l'oeil, a accusé le Fonds mondial pour la nature (WWF), une association de défense de l'environnement présente à Marrakech. "Le Cicta n'a tenu aucun compte des recommandations de ses propres scientifiques qui préconisaient de s'en tenir à des prises de 8 500 à 15 000 tonnes par an, car il y a des risques réels d'effondrement de la population", explique le responsable du programme pêche au WWF-France, Charles Braine.

La date de la fermeture de la pêche fait également l'objet de critiques. "En 2008 déjà, les quotas de pêche étaient atteints dès la mi-juin et la pêche a donc été fermée. Surtout, mai et juin correspondent à la période de reproduction en Méditerranée. Ce sont les périodes les plus sensibles. Les thoniers senneurs savent précisément où se trouvent les bancs de poissons à cette époque", ajoute Charles Braine.

En revanche, aucune mesure n'a été annoncée à Marrakech pour renforcer les contrôles et réduire la pêche sauvage, une mesure pourtant réclamée par les ONG et les professionnels de la filière. Selon certaines estimations, les captures réelles de thon rouge avoisineraient 60 000 tonnes par an. L'accord de Marrakech est une victoire incontestable pour l'Union européenne (UE) qui, défendant les intérêts de certains de ses pays membres (l'Italie, l'Espagne et la France totalisent près de 50 % des prises autorisées par la Cicta), ne voulait pas d'une réduction de l'effort de pêche, synonyme de désarmement obligatoire - et coûteux - de navires.

A l'inverse, elle est un échec pour les pays nordiques, les Etats-Unis, le Canada, le Brésil, tous sensibles à la menace d'une disparition des thons rouges et donc favorables à une forte réduction des prises autorisées.

Pour le WWF et Greenpeace, si l'UE a fini par imposer son point de vue à Marrakech, c'est à la suite de "pressions" de Bruxelles sur des pays en développement, d'Afrique de l'Ouest et d'Amérique centrale. "Ils ont été menacés de représailles commerciales sur les dossiers de la banane, du café, du cacao", accuse le WWF.

Dans les faits, la crise économique davantage que la réglementation devrait assurer un répit aux thons rouges de Méditerranée. Les spécialistes tablent en particulier sur une réduction de 18 000 tonnes en 2009 de la consommation japonaise, où les stocks sont à des niveaux très élevés.

BOYCOTTAGE DES RESTAURATEURS

Les ONG vont peser dans le même sens. "Les échecs successifs de la Cicta ne nous laissent d'autres choix que de chercher des remèdes efficaces (...) et d'étendre le boycottage des distributeurs, restaurants, grands chefs", a prévenu le responsable du programme des pêches en Méditerranée au WWF, Sergi Tudela.

L'ONG n'entend pas se contenter d'un boycottage. Elle prévoit d'inciter les pays nordiques, les plus sensibilisés à la raréfaction des thons rouges en Méditerranée, à obtenir l'inscription de cette espèce sur la liste de la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvage (Cites) "dans l'espoir que le contrôle strict du commerce (permette) de sauver l'espèce". Pour le Japon, principal pays consommateur au monde de thon rouge (45 000 tonnes en 2006) - du fait de l'engouement pour les sushis et sashimis malgré leurs prix élevés -, cela serait une catastrophe. Pour l'éviter, Tokyo était partisan d'une forte baisse des taux autorisés de capture (TAC). Pas plus que les ONG, il n'a obtenu gain de cause à Marrakech.

Quelques chiffres :

22 000 tonnes : quota de pêche au thon rouge fixé pour 2009 par la Commission internationale pour la conservation des thonidés de l'Atlantique (Cicta) à Marrakech. Le quota était de 28 500 tonnes en 2008, mais les prises effectives ont été de 60 000 tonnes.

50 000 tonnes : capacité de pêche de la flotte des thoniers les plus sophistiqués des onze Etats côtiers de la Méditerranée, soit trois fois et demie le niveau de captures recommandé par les experts scientifiques.

50 : nombre de patrouilleurs mobilisés pour surveiller les prises. Le dispositif mobilise également 16 avions. Les inspections peuvent se faire en mer ou dans les ports.

60 % : part des prises de thon rouge de Méditerranée consommé par le Japon, principal débouché pour cette pêche.

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