samedi 27 décembre 2008

Archéologie en Mer Baltique

Plus des deux-tiers de la surface de la Terre sont couverts par les mers. La mer Baltique et ses golfes n’en représentent qu’une infime goutte, mais pour les archéologues de la mer et les plongeurs c’est un lieu riche et fascinant. Utilisant de nouvelles méthodes, les Finlandais ont commencé depuis peu à dresser le relevé systématique des trésors qui y sont cachés. Les chercheurs eux ne cachent pas leur enthousiasme.

Le fond de la majeure partie des océans se trouve à des kilomètres de profondeur. Les fosses les plus profondes de l’océan Pacifique atteignent jusqu’à plus de dix kilomètres. La profondeur moyenne de la Baltique n’est que de 55 mètres. C’est une des mers du monde les plus petites, les moins profondes, les plus parsemées d’îles mais aussi d’écueils.

Depuis que l’homme sillonne les mers, le voyage de centaines de navires qui se sont écartés de leur route ou qui ont perdu la lutte contre les éléments s’est terminé au fond de la Baltique et, surtout, de ses golfes. On a trouvé à Virolahti, dans un recoin finlandais du golfe de Finlande, l’épave de ce que l’on croit être un bateau viking. Reste à voir ce que la recherche systématique nous apprendra sur l’histoire.

L’historien romain Tacite racontait déjà il y a près de deux mille ans que les Germains allaient chercher “au-delà d’une mer inconnue (la Baltique)” les fourrures qu’ils appréciaient tant. Les expéditions viking vers l’est allaient jusqu’au lac Ladoga via la mer Baltique.

Au fil des années, de terribles combats navals se sont déroulés pour la domination de cette importante route maritime qu’est la Baltique et le fait que la Russie détient encore la base militaire de Kaliningrad sur le littoral lituanien en dit long sur l’importance de cette zone. C’est la raison pour laquelle ces eaux qui baignent l’archipel et le rivage finlandais recèlent beaucoup d’histoire. Cette histoire est à la portée des chercheurs - pour autant qu’on la trouve.

L’épave n’est pas mangée, mais peut être broyée

La mer Baltique est aussi la plus grande étendue d’eau saumâtre du monde dont la salinité est, comparée à celle des océans, insignifiante (0-15 pour mille). Maija Fast, chercheur au musée océano -graphique de Finlande fait l’éloge des qualités de la Baltique en les considérant justement du point de vue de l’archéologie marine. “C’est une petite mer intérieure absolument exceptionnelle. Du fait de sa faible salinité, le “ver à bateaux”, taret qui vit dans l’Atlantique et se nourrit de bois, ne se plaît pas ici. Les épaves en bois se conservent très bien dans ses eaux. Voici l’exemple typique d’une autre situation. Nous sommes en train de mettre en place un projet commun avec l’Australie. Là-bas, en 1860, un vaisseau finlandais a fait naufrage au nord de l’île de Kangaroo. L’épave est un vestige archéologique protégé. Pourtant, sur place, on ne distingue aucune partie de l’épave, on n’y voit que des objets éparpillés en verre, en porcelaine et en métal. Les tarets ont littéralement dévoré l’épave. C’est une chose que nous n’avons pas à craindre dans la Baltique.”

Image size 19 Kb Maija Fast et le Kemi, bateau-phare construit en 1901, sur le rivage du musée océano- graphique de Finlande. Le musée se trouve sur une petite île, Hylkysaari (l’île de l’Épave), devant Helsinki.

“Bien que les tarets ne soient pas une gêne, la formation de glace peut être pour une épave un moment difficile à passer. Lorsque la glace commence à fondre au printemps, il se forme des amoncellements qui peuvent aller jusqu’à vingt mètres de profondeur et écrasent tout sous eux. Naturellement, la mer use aussi tout ce qu’il y a au fond. La situation la plus désastreuse est lorsque l’épave est placée directement sous la route des grands navires. Nous avons au large de Kotka l’épave d’un navire de guerre qui a été coulé en 1790 à la bataille de Ruotsinsalmi. Elle se trouve non seulement dans un chenal mais aussi là où le chenal change de direction et où les hélices tournent à régime plus élevé. Cela crée des tourbillons dévastateurs pour une épave en eaux peu profondes”, regrette Maija Fast.

La nouvelle sonde détecte toutes les épaves

L’échosonde à balayage latéral est un nouvel outil qui rend possible le relevé archéologique systématique du fond de la mer. Auparavant, on trouvait les épaves le plus souvent par hasard. En établissant leurs cartes marines, les gens de la Direction de la navigation maritime pouvaient tomber sur une épave, certaines sont même indiquées sur les cartes. L’Armée a aussi effectué des relevés cartographiques et trouvé des objets qui intéressent les chercheurs. Les observations des plongeurs sous-marins ont aussi été très utiles aux chercheurs.

“L’échosonde à balayage latéral est un appareil qui donne une image en trois dimensions du fond de la mer. Une échosonde ordinaire ne donne que le profil du fond, alors que l’autre le “photographie” de façon tout à fait différente. Ce n’est évidemment pas une photo et le profane n’arrive même pas toujours à en interpréter les résultats. Mais, si on l’utilise en eaux peu profondes en se déplaçant à petite vitesse, il est possible de distinguer les petits détails des objets. Même si l’on se déplace rapidement et en eaux plus profondes, les épaves se voient toujours bien. La nouvelle échosonde réagit aussi au bois et pas seulement au métal. Envoyer dix plongeurs râtisser la mer est une entreprise d’exploration à l’aveuglette sans espoir. L’échosonde à balayage latéral permet d’étudier de grandes étendues en peu de temps. En pratique, cela revient à dire qu’il est maintenant possible, pour la première fois, de faire le relevé complet des fonds du golfe de Finlande comme les archéologues marins l’ont toujours souhaité,” poursuit Maija Fast avec enthousiasme.

En Finlande, la Direction de la navigation maritime et les militaires disposent de ce genre de sonde, pas le musée océanographique. La situation s’est toutefois améliorée depuis qu’une entreprise privée a acheté une échosonde à balayage latéral que les chercheurs et les amateurs peuvent louer avec le personnel spécialisé qui sait l’utiliser et interpréter les résultats. Les associations de plongée sous-marine ont déjà fait usage de cette nouvelle possibilité et ont trouvé deux épaves en été 1997.

“Au musée océanographique, nous attendons avec grand intérêt que cette sonde permette de découvrir une cogghe médiévale qu’utilisaient les commerçants hanséatiques. Nous savons que plusieurs ont fait naufrage dans les eaux finlandaises. Pour l’instant, on n’a daté ici que deux épaves du XVIème siècle. Plus une épave est vieille, plus elle est intéressante. On n’a commencé à dresser systématiquement les plans des navires qu’à partir du XVIIIème siècle. Les épaves sont les seuls documents que nous ayons de la construction navale et aussi de la vie à bord dans les temps anciens.”

La voiture de l’impératrice au fond de l’eau

Dans les océans, les épaves peuvent reposer à plusieurs kilomètres de profondeur alors que la plupart des épaves étudiées par les Finlandais ne se trouvent qu’à 10 - 20 mètres de fond. Plonger à trente mètres demande de l’expérience, les épaves qui présentent un intérêt historique n’ont été trouvé, au-delà de cette limite, que par hasard.

Cet arbalestrille a été trouvé en 1986 dans un coffre de marin du St. Mikael. L’arbalestrille est un instrument de navigation qui, avant le sextant, permettait de déterminer la position d’un navire d’après les étoiles.

Un des objets d’étude les plus remarquables et les plus intéressants du littoral finlandais repose par quarante mètres de fond. En automne 1747, le St. Michael, navire marchand russe qui se rendait d’Amsterdam à Saint- Pétersbourg, a fait naufrage dans l’archipel, à Borstö près de Nauvo. Une partie de la cargaison s’est échouée sur le rivage et a été vendue aux enchères à Turku un an après l’accident. Cela fait près de quarante étés que les plongeurs étudient cette épave sous la supervision de la Direction finlandaise des antiquités et des monuments historiques. On a trouvé à bord, entre autres, une voiture rococo fabriquée pour l’impératrice russe Elisabeth Petrovna, de la vaisselle et des objets de valeur magnifiques. On surveille aussi et étudie en permance quelques autres épaves de grande valeur bien que moins connues. Selon un spécialiste, il est probable que l’échosonde à balayage latéral permettra, dans les années qui viennent, de découvrir des épaves parfaitement conservées à 40-50 mètres de profondeur.

“Si, par hasard, quelqu’un découvre disons une vieille pièce de membrure au cours d’une plongée, il doit en aviser immédiatement les autorités”, nous rappelle un chercheur. “La première chose à faire est que la pièce reste humide sinon elle s’effrite et risque d’être détruite en séchant. La conservation se fait, en gros, comme suit. D’abord, on fait tremper la pièce dans l’eau douce pour dissoudre et faire disparaître le sel. Ensuite, on remplace l’eau qui a longtemps séjourné dans les cellules du bois par une solution plastifiante. Dans le cas de pièces de grandes dimensions, l’imprégnation peut durer pas moins de deux ans. Avant l’utilisation des plastiques, on ne savait pas trop quoi faire en matière de conservation. La grande frégate royale Wasa qui, à la suite d’une erreur de conception, avait versé et coulé lors de son voyage inaugural et est maintenant exposée à Stockholm, a été arrosée pendant une vingtaine d’années avec une telle solution. Elle est aujourd’hui visible dans toute sa splendeur. Toute l’archéologie marine et surtout les méthodes de conservation sont un domaine très nouveau de la science.”

Les plongeurs sous-marins auxiliaires des chercheurs

La Finlande compte quelque 20 000 plongeurs sous-marins, mais les eaux sont aussi ouvertes aux amateurs étrangers. Les associations organisent des explorations sous-marines pour leurs invités et il est possible d’obtenir l’autorisation de visiter une épave. Les étrangers doivent toutefois ne pas oublier que les eaux finlandaises sont froides comparées aux eaux tropicales et que la visibilité peut y être mauvaise. Aux termes de la législation finlandaise, les épaves de plus de cent ans -leur âge est compté à partir de la date où elles ont coulé- sont protégées et on ne peut les approcher et encore moins y toucher sans une autorisation officielle. Les ancrages négligents ont fait beaucoup de mal. Il n’est pas difficile de deviner ce qui arrive si une ancre pesante touche une épave fragile. Le Musée des antiquités surveille la situation en coopération avec la gendarmerie maritime.

“Les plongeurs sous-marins sont très utiles aux chercheurs du musée océanographiques”, souligne Maija Fast. “On accorde chaque année plusieurs dizaines d’autorisations de recherche. Les plongeurs mesurent et photographient les épaves, les filment en vidéo et mettent tout ce matériel à la disposition du musée. Un plongeur qui a acquis certaines compétences tire plus de plaisir de sa passion en travaillant pour un but”.

Le champagne de Neptune

Bien plus jeune que le St Mikael mais pas moins intéressant est le naufrage du schooner Jönköping. Ce deux mâts en bois, construit en Suède en 1896, avait sillonné les mers pendant vingt ans jusqu’à ce qu’une torpille allemande l’envoya par le fond de la Baltique en 1916 devant la ville finlandaise de Rauma.

Le Jönköping transportait une cargaison de 5 000 bouteilles de champagne et 67 tonneaux de vin et de cognac destinés à la consommation des officiers du tsar. Il n’est pas étonnant que l’épave, dont la cargaison est évaluée à environ un million de dollars US, attira immédiatement un essaim de plongeurs sur le site. Le contenu de quelques bouteilles ramenées à la surface pour goûter s’avéra d’excellente qualité et le renflouement de toute la cargaison n’était plus qu’une question de météo.

Cela eut lieu en juillet 1998. Une équipe de plongeurs suédois arriva avec une grue flottante et leva l’épave qui resta plusieurs heures juste en-dessous de la surface pendant qu’on la vidait de ca cargaison.

Le champagne était excellent et rapportera beaucoup d’argent mais les tonneaux en bois ne causèrent que du désappointement. Ils ne contenaient plus en effet qu’un cocktail nauséabond de vin ou de cognac et d’eau de mer.

Des trésors artistiques pour la tsarine

Les plongeurs finlandais, aidés ici aussi d’une échosonde à balayage latéral, ont fait en juin 1999 une trouvaille qui semble pleine de promesses. Il s’agit de l’épave du Vrouw Maria, navire néerlandais qui gît par 41 mètres de fond entre les îles Jurmo et Borstö au large de la côte ouest de la Finlande, là où avait aussi été repéré le St.Michel.

Le Vrouw Maria faisait route vers Saint-Pétersbourg venant d’Amsterdam lorsqu’il coula le 3 octobre 1771. Il y avait à bord des trésors artistiques que la tsarine Catherine la Grande avait commandés. L’épave que les plongeurs ont trouvée est pleine de caisses en bois.

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